ELECTROSYNTHESE – APPLICATIONS EN CHIMIE ORGANIQUE

Cet article a été inspiré par le sujet de chimie de l'Agrégation externe 2020 ; il en contient des extraits.

Gérard GOMEZ


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Plan de l'étude

1) Définition

2) Des exemples d'électrosynthèses

                2-1) Electrolyse de Kolbe

                2-2) Oxydation de Shono

                2-3) Electrosynthèse de l’éthylène glycol

                2-4) Hydrodimérisation de l'acrylonitrile en adiponitrile

                2-5) Electrosynthèse de l'acide dihydrophtalique

                2-6) Electrosynthèse de l'acide monochloracétique à partir de l'acide dichloracétique

                2-7) Electrosynthèse du Fénoprofène

3) Avantage des procédés électrochimiques en synthèse organique

4) Synthèse totale de l'alliacol par Moeller

 

Annexe 1               Bromure de tétra (n-butyle) ammonium

Annexe 2               Umpolung


1) Définition :

L’électrosynthèse est une méthode de synthèse utilisant un procédé électrolytique, l’électrolyse, qui permet la réalisation d’une transformation non spontanée en générant un courant électrique dans une cellule par application d’une tension aux bornes de deux électrodes. Plusieurs procédés industriels courants de synthèse minérale sont des procédés électrolytiques (productions d’aluminium, de dichlore, d’hypochlorite de sodium, etc) mais des électrolyses sont aussi mises en œuvre en synthèse organique.

L’électrosynthèse organique repose sur la réactivité des substrats organiques vis-à-vis des électrons échangés avec une électrode (anode ou cathode) ; on observe alors une oxydation ou une réduction du substrat. Ces réactions d’électrosynthèse organique se déroulent dans des réacteurs électrochimiques avec ou sans séparation des deux compartiments.

Les synthèses électrochimiques qui ont des points communs avec les conversions photochimiques, sont des méthodes intéressantes pour l'élaboration de composés organiques ; elles mettent en jeu des réductions, des oxydations, des couplages C-C ….

2) Des exemples d'électrosynthèses :

 

            2-1) Electrolyse de Kolbe

D'un point de vue historique cette réaction est intéressante car elle fut l'une des premières électrosynthèses.

En 1849 Kolbe met au point une oxydation électrochimique par perte d'un électron d'une fonction carboxylate ce qui conduit à un radical et à une décarboxylation ; par dimérisation du radical on obtient un alcane.

                        - A l'anode le mécanisme est le suivant :

 

KOLBE6.gif

                        - A la cathode

 

KOLBE4.gif

KOLBE5.gif

 

L'équation bilan peut s'écrire :

KOLBE7.gif

 

            2-2) Oxydation de Shono

C'est une électrosynthèse permettant d’obtenir un ion iminium à partir d’une amine ou d'un amide, en cellule électrochimique non divisée. Ce procédé, développé à partir de 1975, a été l’un des plus étudiés et utilisés jusqu’à nos jours.

 

SHONO1.jpg

Oxydation de Shono : Schéma de principe de la cellule d'électrolyse et photographie d'une cellule au laboratoire

 

La synthèse présentée ici est réalisée à partir d'un amide qui subit une oxydation anodique.

                        - A l'anode

 

SHONO2.gif

 

l'ion iminium formé réagit avec du méthanol

 

SHONO3.gif

 

                        - A la cathode

 

SHONO5.gif

KOLBE5.gif

 

Au total

SHONO4.gif

           

            2-3) Electrosynthèse de l’éthylène glycol

L'éthylène glycol ou éthane-1,2-diol est un antigel très efficace car il a un point de fusion assez bas et un point d'ébullition élevé.

On peut le synthétiser en électrolysant une solution de méthanal (formaldéhyde) avec électrodes de graphite.

·         Electrolyte : solution aqueuse de formaldéhyde (méthanal) à 37% avec 1% de potasse ajoutée

·         Electrodes de graphite

·         Produit : éthylèneglycol

Le méthanal subit une réduction cathodique et devient un radical anion ; deux de ces entités s'unissent ensuite pour donner le dianion de l'éthylène glycol.

                        - A la cathode

 

EGMODIF.gif

puis

 

EG2.gif

et

 

EG3.gif

 

                        - A l'anode

 

EG4.gif

KOLBE5.gif

 

Au total

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            2-4) Hydrodimérisation de l'acrylonitrile en adiponitrile

L'adiponitrile (ou nitrile correspondant à l'acide adipique)

ADIPONITRILE.gif

est un intermédiaire clé dans la fabrication du nylon 6-6.

Cette synthèse est l'une des applications industrielles les plus importantes de l'électrosynthèse organique.

                        - A la cathode

ELECTRORELECTURE.gif

 

                        - A l'anode

ADIPO2.gif

KOLBE5.gif

 

Au total

ADIPO3.gif

Plusieurs procédés de fabrication industrielle :

            - Procédé Monsanto : en solution concentrée, 170 000 tonnes par an.

            - Procédé Asahi : en émulsion, 30 000 tonnes par an.

Les procédés actuels d'hydrodimérisation de l'acrylonitrile utilisent une cellule d'électrolyse comportant un seul compartiment, une cathode en cadmium ou en plomb électrodéposé sur de l'acier, une anode d'acier inoxydable et un électrolyte contenant initialement :

                        - un tampon phosphate neutre et un sel d'ammonium quaternaire en solution aqueuse,

                        - le réactif, l'acrylonitrile,

                        - et ultérieurement, l'adiponitrile formé.

La température de la cellule pendant l'électrolyse est de 50°C.

 

            2-5) Electrosynthèse de l'acide dihydrophtalique

L'acide dihydrophtalique est un intermédiaire dans la synthèse des plastifiants ; c'est aussi un additif pour l'essence qui a été produit par BASF.

On l'obtient par réduction cathodique de l'acide phtalique en présence d'eau et d'acide sulfurique, le dioxanne jouant le rôle de solvant.

 

                        - A la cathode

 

PHTALIQUE1.gif

 

                        - A l'anode

 

PHTALIQUE2.gif

KOLBE5.gif

 

Au total

PHTALIQUE3.gif

 

            2-6) Electrosynthèse de l'acide monochloracétique à partir de l'acide dichloracétique

En chlorant l'acide acétique on obtient un produit principal qui est l'acide monochloracétique ; il se forme en même temps les acides dichloracétique et trichloracétique qui constituent donc des sous-produits de cette synthèse.

On peut les récupérer en les séparant du milieu puis les électrolyser pour les transformer en acide monochloracétique ce qui permet d'augmenter le rendement de la synthèse. C'est un procédé qui a été mis au point par la firme Hoechst AG.

L'acide monochloracétique ou AMCA est un intermédiaire chimique entrant dans la fabrication de détergents, d'adhésifs, de produits auxiliaires textiles et d'épaississants utilisés dans les produits alimentaires, les produits pharmaceutiques et les cosmétiques.

Il est utilisé en association à l’aniline pour synthétiser l’indigo à l’échelle industrielle (procédé de Karl Heumann).

Nous prendrons l'exemple de l'acide dichloracétique qui conduit à l'acide monochloroacétique par réduction cathodique.

L'électrolyse a lieu en présence d'acide chlorhydrique, les électrodes étant en graphite.

 

                        - A la cathode

CHLORACETIQUE.gif

 

                        - A l'anode

 

PHTALIQUE2.gif

KOLBE5.gif

 

Au total

CHLORACETIQUE1.gif

 

            2-7) Electrosynthèse du Fénoprofène

Le Fénoprofène est un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) ayant une activité antalgique et antipyrétique à faibles doses ; il est utilisé pour soulager l'arthrose et la polyarthrite rhumatoïde.

Il est obtenu par réduction cathodique puis carboxylation par CO2 gazeux du chloroéthyldiphényl éther.

L'électrolyse a lieu avec une anode en magnésium, une cathode en acier ; le milieu est rendu conducteur par addition de1% de bromure de n-tétrabutyle ammonium en solution dans le diméthylformamide (DMF) (voir annexe 1)

 

                        - A la cathode

CORREC.jpg

 

                        - A l'anode

 

FENOPROFENE4.gif

L'anode en magnésium (dite anode sacrificielle) permet d'éviter toute réaction parasite.

KOLBE5.gif

 

Au total

FENOPROFENE5.gif

 

3) Avantage des procédés électrochimiques en synthèse organique

L’utilisation de procédés électrochimiques en synthèse organique présente de nombreux avantages :

            · Les électrons sont des « réactifs » peu chers, et plus faciles à transporter que les oxydants ou réducteurs usuels.

            · Ces réactions ne génèrent ni déchets toxiques, ni danger d’explosion, ni difficultés de stockage ou de fabrication de réactifs dangereux contrairement parfois à l’utilisation d’oxydants ou réducteurs « chimiques », et se déroulent en général à température ambiante.

            · Le nombre total d’étapes est souvent réduit, notamment car il y a moins de sous-produits que lors de l’utilisation d’oxydants ou réducteurs classiques, ce qui réduit les phases de traitement.

            · La sélectivité des réactions aux électrodes est en général bonne, et ces réactions permettent un accès direct — notamment par « Umpolung » — (voir annexe 2) à des produits difficiles à obtenir par des voies plus classiques.

            · La synthèse électrochimique est aisément transposable à l’échelle industrielle.

 

4) Synthèse totale de l'alliacol par Moeller

Le (+)-alliacol est un sesquiterpène isolé en 1977 d'un champignon Marasmius Allianceus.

ALLIACOL.gif

Ce composé présente une activité antimicrobienne modérée ainsi qu'une activité antitumorale à faible concentration.

Sa structure polycyclique et sa stéréochimie en font une cible intéressante en synthèse totale.

Celle réalisée par Kevin D Moeller en 2003 utilise une étape clé de cyclisation électrochimique.

 

ALLIACOL4.gif

 

Le composé (-1- ) est cyclisé par électrolyse pour conduire à l’intermédiaire (A) non isolé, qui est ensuite transformé en (-2-) par action de l’acide p-toluènesulfonique. Cette voie électrochimique est régio et stéréosélective (voir annexe 3). Seul un des deux stéréoisomères (-2-) obtenus est représenté. L’électrolyse est réalisée dans une cellule non divisée, avec une anode de carbone vitreux réticulé et une cathode de carbone. L’électrolyte est une solution de perchlorate de lithium dans un mélange méthanol/dichlorométhane 1:5 contenant de la 2,6-lutidine (2,6-diméthylpyridine) à 0,4 mol.L-1 qui agit comme accepteur de protons. Le courant est maintenu constant (12,9 mA) jusqu’à ce que 2,1 moles d’électrons par mole de substrat (-1-) aient circulé.

Remarques :

                - -OTBS correspond à un éther de ter-butyldiméthylsilyle

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                - TsOH correspond à l'acide paratoluènesulfonique (ou APTS) encore appelé acide tosylique

 

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La réaction électrochimique mise en jeu ici est un processus de type "Umpolung" qui permet le couplage de deux nucléophiles : éther d'énol silylé et cycle furane.

 


Annexe 1

            - Bromure de tétra (n-butyle) ammonium

BRTBAMM.gif


Annexe 2

Umpolung

Ce terme allemand désigne un changement de polarité d'un groupe fonctionnel.

Il peut être obtenu par modification réversible du groupe fonctionnel ou par application d'une tension électrique qui va permettre ce changement de polarité (c'est ce qui se passe parfois dans les électrosynthèses).

Prenons un exemple de modification réversible d'un groupe fonctionnel (umpolung par intervention d'un réactif) :

            - Le carbone d'un aldéhyde est normalement polarisé positivement (d+) du fait de la présence d'un atome d'oxygène plus électronégatif que lui.

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Conséquence : par réaction de ce composé carbonylé avec un réactif nucléophile, comme le cyanure d'hydrogène par exemple, on obtient une cyanhydrine.

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            - Faisons réagir l'aldéhyde sur le propane-1,3-dithiol on obtient un dithiane

 

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Le dithiane remplace provisoirement le groupe carbonyle de départ.

L'hydrogène lié au carbone fonctionnel peut être arraché sous forme de proton par le n-butyllithium dans le THF à – 40°C

 

UMPOLUNG13.gif

 

Le carbone du groupe fonctionnel aldéhyde ainsi transformé en anion peut agir comme nucléophile ; ainsi avec le bromure de benzyle on obtient :

 
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Par hydrolyse on régénère le carbonyle

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En résumé la transformation provisoire du groupe carbonyle en dithiane à permis le changement de polarité du carbone fonctionnel (Umpolung) et la formation d'un composé qu'il aurait été difficile d'obtenir autrement.

Ce concept a été introduit par James Corey et Dieter Seebach.


Annexe 3

Régiosélectif : c'est un carbone bien déterminé qui est mis en jeu.

Stéréosélectif : la modification sur ce carbone peut se faire de deux façons, ce qui engendre une stéréo-isomérie.