ALCHIMIE
Extraits
du sujet de chimie de l'agrégation externe de physique –chimie (option chimie)
2022
La chimie
est née de diverses pratiques artisanales des potiers, fondeurs, forgerons,
orfèvres, verriers, peintres, teinturiers, parfumeurs, etc. Sans en être
l’unique fondement, l’alchimie a joué un rôle crucial du début de notre ère au
18ème siècle à travers le bassin méditerranéen et l’Europe. Si les doctrines
alchimiques apparaissent souvent comme emmêlées, confuses et rivales, les
alchimistes ont laissé un héritage empirique fondamental : la conception et le
perfectionnement de procédés et de techniques, la fabrication de nouvelles
substances, etc. Une des préoccupations des alchimistes était la découverte de
la pierre philosophale qui devait permettre la transmutation de métaux, en
particulier en argent ou en or. À l’état liquide, la pierre philosophale était
appelée élixir philosophal ou panacée universelle, devant conférer la santé,
une longue vie voire l’immortalité.
Raymond Lulle était un philosophe, théologien, poète, missionnaire et
alchimiste du 13ème siècle. Son procédé de fabrication de l’élixir philosophal
fut décrit un siècle plus tard dans les écrits de Riplée, puis cité par J.-B.
Dumas (1837)*. En voici un extrait :
« Il faut prendre, mon fils, le mercure des philosophes**, et le calciner
jusqu’à ce qu’il soit transformé en lion vert ; et après qu’il aura subi cette
transformation, tu le calcineras davantage, et il se changera en lion rouge**.
Fais digérer au bain de sable ce lion rouge avec l’esprit aigre*** des raisins,
évapore ce produit, et le mercure se prendra en une espèce de gomme qui se
coupe au couteau ; mets cette matière gommeuse*** dans une cucurbite lutée, et
dirige sa distillation avec lenteur. Récolte séparément les liqueurs qui te
paraîtront de diverse nature. Tu obtiendras un flegme insipide, puis de
l’esprit et des gouttes rouges. Les ombres cymmériennes couvriront la curcubite
de leur voile sombre, et tu trouveras dans son intérieur un véritable dragon,
car il mange sa queue. Prends ce dragon noir, broye-le sur une pierre, et
touche-le avec un charbon rouge : il s’enflammera, et prenant bientôt une
couleur citrine glorieuse, il reproduira le lion vert. Fais qu’il avale sa
queue, et distille de nouveau le produit. Enfin, mon fils, rectifie
soigneusement, et tu verras paraître l’eau ardente et le sang humain »****.
*Dumas
J.-B. (1837) Leçons sur la philosophie chimique. Bechet Jeune, Paris, pp.30-33.
**Le «
mercure des philosophes » est le plomb métallique. Le « lion rouge » obtenu par
calcination (chauffage intense en présence d’air) est principalement de l’oxyde
de plomb de formule PbO.
***L’«
esprit aigre des raisins » est le vinaigre. La « matière gommeuse » obtenue est
principalement de l’éthanoate de plomb (II).
****La
décomposition thermique de sels d’acides organiques en présence d’oxydes
métalliques, est connue pour être liée à la formation de cétones. L’« eau
ardente » obtenue dans le procédé est la propanone. Le « sang humain » serait
un mélange d’acétylacétonate de plomb (II) et d’éthanoate de plomb (II) en
solution dans un mélange de propanone, d’acide éthanoïque et de
pentane-2,4-dione (ou acétylacétone).
Remarque :
La
coloration rouge du « sang humain » obtenu lors du procédé de Lulle,
proviendrait des produits formés en petite quantité par polycondensation de la
pentane-2,4-dione.