LA BIERE

Gérard GOMEZ


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1) Définition :

C'est une boisson alcoolisée obtenue à partir d'eau, de malt d'orge, pur ou associé à des grains de maïs, de blé, de riz ou même d'orge non malté (30% maximum) ; elle est aromatisée par du houblon.

 

2) Le choix des matières :

            - L'eau :

Elle doit être absolument pure bactériologiquement. De sa composition (sels minéraux notamment) dépendent les opérations enzymatiques de fermentation. Autrefois, la réputation d'une bière venait en grande partie de la qualité de l'eau utilisée ; le brasseur a de nos jours des techniques de traitement (filtration, déminéralisation partielle ou totale….) permettant de maîtriser sa composition et de rendre cette qualité constante dans le temps.

            - Orge et autres grains :

L'orge malté (on expliquera au paragraphe 3 la façon de l'obtenir) fournit du maltose et du glucose prêts à la fermentation alcoolique, mais aussi des enzymes qui  permettent l'hydrolyse des matières amylacées apportées par l'orge non malté et les autres grains crus, hydrolyse qui aboutit à du glucose ; il fournit enfin les acides aminés permettant la nutrition des levures nécessaires à la fermentation alcoolique.

 

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Grains d'orge

Grains d'orge malté

 

            - Le houblon :

On extrait des fleurs femelles de houblon (Humulus lupulus de la famille des cannabinacées) des résines rendues amères par la présence d'humulone et de lupulone (Illustration 1) et qui communiquent une agréable amertume à la bière. On extrait aussi des huiles essentielles contenant du myrcène et de l'humulène (Illustration 2) qui contribuent à l'arôme de la boisson. Les houblons les plus réputés sont ceux de la République Tchèque de la Slovénie ou de l'Allemagne.

 

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Plants de houblon

Fleurs de houblon

 

            - Les levures :

Elles sont nécessaires à la fermentation du glucose et du maltose, opération qui transforme ces glucides en éthanol. Le goût et le parfum de la bière ainsi que sa stabilité biologique dépendront en grande partie de la nature des levures utilisées.

 

3) Le malt d'orge :

Transformer l'orge en malt d'orge revient à reproduire "en accéléré" le processus naturel de développement du grain d'orge cru pour obtenir principalement du glucose à partir de l'amidon ; intermédiairement il se forme des dextrines solubles dans l'eau puis du maltose et enfin deux molécules de glucose par molécule de maltose.

Autrefois c'était le brasseur qui assurait cette transformation ; de nos jours elle est faite dans des malteries qui approvisionnent les brasseurs.

Trois opérations successives sont nécessaires :

            - Le trempage :

On plonge les grains d'orge dans une eau à 14°C environ pendant 55 heures pour leur faire acquérir un taux d'humidité de 45% qui les fait gonfler ; on maintient l'ensemble en rotation durant toute cette phase pour éviter qu'il ne se forme une masse compacte.

            - La germination :

Pendant six jours a lieu, à 15°C environ, la désagrégation des grains d'orge sous l'action d'enzymes (glucanases, amylases, protéinases….) ; elle consiste en une attaque des parois cellulaires, une modification des protéines en acides aminés, une transformation de l'amidon du grain en maltose et glucose (Illustration 3). Il faut pendant cette opération évacuer la chaleur due à toutes ces réactions chimiques ainsi que le dioxyde de carbone dégagé par la "respiration" et maintenir un taux d'humidité suffisant.

            - Le touraillage :

C'est le séchage du malt en deux étapes :

·         Puis on chauffe plus intensément (environ 85°C) pendant quatre heures (c'est le "coup de feu") ce qui assure la couleur ambrée et développe l'arôme grâce à la réaction de Maillard (Illustration 4). Dans le cas des malts dits "Munich" le chauffage est poussé jusqu'à 110°C.

Le malt ainsi obtenu est débarrassé des radicelles et des poussières par aspiration, puis concassé et moulu.

 

4) Le travail de brasserie :

On distingue cinq phases dans le travail du brasseur :

            - Le brassage :

Dans une première cuve dite cuve-matière, le malt moulu est mélangé à de l'eau, brassé et porté par paliers à différentes températures s'échelonnant entre 60°C et 75°C pendant une heure environ. Cette opération a pour but de terminer la transformation de l'amidon du malt en sucres fermentescibles et l'hydrolyse des protéines et des peptides ; le contenu de la cuve est appelé le brassin.

Parallèlement dans une autre cuve, a lieu le brassage des autres grains crus (riz, maïs….) auxquels on ajoute du malt qui apporte l'amylase et de l'eau et qu'on chauffe à 75°C pour transformer l'amidon de ces grains en maltose et glucose. A l'issue de ce traitement, les contenus des deux cuves sont mélangés et une filtration de cet ensemble donne d'un côté le filtrat que l'on appelle le moût et d'autre part le résidu solide de filtration "la drêche" qui constitue un excellent aliment pour le bétail.

On porte le moût à ébullition pendant une trentaine de minutes ce qui détruit les enzymes puis on verse le houblon, 150g à 300g par hectolitre suivant l'arôme et l'amertume que l'on désire donner à la bière et on laisse l'ébullition se poursuivre pendant encore une heure ; Au cours de cette cuisson, l'humulone (Illustration 1) s'isomérise en isohumulone (cis et trans) (voir illustration 5). L'amertume apportée par ces substances est quantifiée et exprimée en IBU (International Bitterness Unit) qui correspond à l'amertume apportée par une unité de poids (exprimée en ppm) d'isohumulone.

            - La fermentation :

Suivant le type de bière que l'on souhaite obtenir, les levures nécessaires à la fermentation sont différentes. On trouve principalement :

Le processus de fermentation conduit à transformer glucose, maltose et autres sucres fermentescibles en éthanol suivant l'équation générale :

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La fermentation est un processus anaérobie (qui n'a pas besoin d'oxygène pour se produire) mais le développement des levures et leur multiplication nécessite de l'oxygène, c'est pourquoi, juste avant l'injection du levain on oxygène la solution.

La fermentation dans son ensemble dure plusieurs semaines, mais a lieu en deux temps :

- La filtration :

L'opération suivante consiste à filtrer, sur un lit de diatomées (kieselguhr) qui sont  des microalgues unicellulaires de quelques microns possédant une carapace siliceuse (frustule), le liquide trouble obtenu. On enlève ainsi les levures et les substances qui ont précipité lors de la fermentation. De cette phase dépend la brillance du produit fini.

            - La pasteurisation :

Dans certains cas, afin d'augmenter la durée de conservation de la bière, on procède, après filtration, à l'élévation de la température (72°C) pendant un temps relativement court (de l'ordre de la minute) ce qui a pour but de détruire les levures qui ont pu échapper à la filtration et qui risquent de faire évoluer la saveur de la boisson après l'embouteillage.

Parfois on procède à une flash-pasteurisation, après embouteillage et bouchage, c'est-à-dire que l'on chauffe très rapidement le contenu de la bouteille et on réduit en conséquence considérablement le temps pendant lequel la bière est chauffée.

            - Le soutirage :

La bière est le plus souvent conditionnée en fûts, en boîtes métalliques (canettes) ou en bouteilles.

Le soutirage est une opération entièrement mécanisée, effectuée dans un emplacement distinct de la brasserie ; cette opération demande beaucoup de soins car la bière ne doit pas être contaminée et ne doit pas perdre son dioxyde de carbone. Les contenants sont lavés, rincés, stérilisés avant le soutirage. Pour les bouteilles, des caméras surveillent la transparence et le niveau est repéré électroniquement. Pour les fûts le remplissage se fait par des "plongeurs" qui empêchent la bière d'entrer en contact avec l'air.

 

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5) La très grande diversité des bières dans le monde :

Ce qui a été dit dans cet article correspond à la majorité des méthodes d'élaboration des bières dans le monde ; on obtient des boissons dont le taux d'alcool varie entre 4 et 8%.

Il existe cependant une très grande diversité de modes opératoires qui conduisent à une grande variété de bières.

Citons quelques particularités notables :

6) La mousse de la bière :

Une mousse est constituée par un gaz dispersé dans un liquide (ou parfois dans un solide), liquide dans le cas présent.

Les bulles de CO2 de la bière montent et du fait de la diminution de la tension superficielle due aux substances dissoutes qu'elle contient (notamment des protéines), ces bulles s'entourent d'une enveloppe liquide mince lorsqu'elles arrivent à la surface de séparation de la boisson et de l'air et s'agglutinent les unes aux autres pour former la couche de mousse bien connue.

L'importance de la couche de mousse, sa durée, sa texture (mousse sèche constituée de grosses bulles ou au contraire mousse humide et fine) dépendent de l'importance de la diminution de la tension superficielle donc de la quantité et de la nature des substances qui contribuent à l'abaissement de cette grandeur physique ; la stabilisation en particulier est d'autant plus grande que le film liquide contenant les protéines est plus épais, élastique et imperméable au gaz.

Il y a autant de mousses que de types de bières.

 

Remarque : Le terme de "bock" désigne en français, la bière et le verre de bière. Ce terme vient de la ville de Einbeck (Basse-Saxe en Allemagne) où depuis le moyen-âge on brasse une bière forte et renommée. Le nom de cette ville fut modifié en Aimbock en bavarois puis réduit à Bock qui passa en français vers 1855 (d'après Kerndeutsch par Paul Laveau – Edition Ellipses).


Illustration 1

 

Humulone :

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Lupulone :

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Illustration 2

 

Myrcène :

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Humulène :

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Illustration 3

 

L'amidon :

Principale réserve glucidique dans le monde végétal, tout comme la cellulose. L'hydrolyse de l'amidon en milieu acide dilué conduit au glucose ; intermédiairement il se forme des dextrines solubles dans l'eau, puis du maltose et enfin deux molécules de glucose par molécule de maltose.
L'amidon natif se présente sous forme de grains de taille variable insolubles dans l'eau froide. Dans l'eau chaude (70°C environ), l'amidon gonfle (empois) et l'on peut séparer ses deux constituants principaux : l'amylose (ou amidon linéaire) environ 20%, peu soluble dans l'eau froide et l'amylopectine 80% (ou amidon ramifié). Ce sont deux polymères du glucose, l'amylose ayant une masse molaire de l'ordre de 500 000 g.mol-1 et l'amylopectine de plusieurs millions de g.mol-1.
Dans l'amylopectine il y a un enchaînement 1-6 environ tous les 25 unités glucose.

AMYLOSE  AMYLOPECTINE

 

Le maltose :

 

            - α-maltose

 

ALPHAMALTOSEEDUL.gif

 

            - β-maltose

 

MALTOSEEDUL.gif

 

Le glucose :

 

D-(+)-glucose (Fischer)

a-D-(+)-glucopyrannose

GLUCFISCHER

GLUCPYRANALPHA
ADGLUCOSE

 


Illustration 4

La réaction de Maillard est une réaction entre la fonction carbonyle (-CO-) d'un ose et la fonction amine (-NH2) d'une protéine, à chaud et en milieu anhydre ; il se forme une imine, qui se réarrange (réarrangement d'Amadori) et conduit à une cétone qui peut alors réagir elle aussi avec une autre fonction amine. Il peut ainsi se produire une polymérisation qui aboutit à des produits bruns. C'est une réaction générale que l'on retrouve souvent en cuisine, par exemple lorsque l'on fait rôtir une viande ; ici c'est le maltose qui réagit en partie avec des protéines solubles et donne les produits bruns que l'on retrouvera dans la bière.

 

MAILLARD2

 

Réarrangement d'Amadori :

MAILLARD3


Illustration 5

ISOHUMULONE.gif