DES PROTEINES FLUORESCENTES

ou FP

 

Gérard GOMEZ

avec la collaboration de

Jacques BARON


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Plan de l'étude

                1) Lumière bleue émise par Aequorea victoria

                2) La lumière verte émise par Aequorea victoria

                3) Relation entre lumière bleue et lumière verte

                4) La GFP utilisée comme marqueur

                5) Des protéines fluorescentes de différentes couleurs

                6) Des Protéines Fluorescentes Réversiblement Photocommutables


1) Lumière bleue émise par Aequorea victoria

La méduse Aequorea victoria émet une lumière bleue, due à une protéine l'Apoaequorine qui s'associe à une luciférine, la coelentérazine dont la molécule est donnée ci-après

 

COELENTERAZINE

 

Cet ensemble porte le nom d' Aequorine et en présence de calcium et de dioxygène il émet une lumière bleue (460<λ<480nm) sans avoir besoin d'une excitation lumineuse.

Le processus serait le suivant :

En présence de calcium la protéine change de conformation, permettant l'oxydation de la coelentérazine par le dioxygène suivie d'une ouverture du cycle pentagonal puis d'une perte de CO2 ; on aboutit à la coelentéramide comme l'indique la suite ci-dessous où seule la coelentérazine a été représentée :

 

COELENTERAMIDE

 

La coelentéramide est obtenue sous forme excitée ; le retour à l'état stable s'accompagne d'une émission de lumière bleue de longueur d'onde λ = 468 nm.

On peut résumer cette suite d'étapes :

 

COELENT.gif

 

Remarque :

L'intensité de la lumière émise dépend de la quantité d'ions Ca2+ présente.

Une équipe du CNRS (Bertrand Lambolez du laboratoire Neurobiologie des processus adaptatifs, Université Paris VI) a montré en 2006 la manière dont le calcium régule l'émission de lumière : "la sensibilité de l'aequorine repose non pas sur une augmentation de son rendement mais sur celle de la vitesse de la réaction de bioluminescence qui se produit à rendement constant". Les chercheurs supposent que "l'aequorine existe en équilibre entre deux formes émettrices de lumière possédant des vitesses d'émission différentes. La forme lente serait majoritaire à faible concentration en calcium et, lorsque cette dernière augmente, l'équilibre serait déplacé en faveur de la forme rapide."

 

2) La lumière verte émise par Aequorea victoria

On observe aussi dans la lumière émise par la méduse, une composante verte de longueur d'onde 508 nm, de plus faible intensité et qui correspond à une fluorescence.

Les lauréats du prix Nobel de chimie Shimomura, Chalfie et Tsien ont apporté beaucoup dans l'étude de ce phénomène.

C'est le Professeur Osamu Shimomura, qui met en évidence en 1962 la protéine responsable de cette fluorescence, la GFP (Green Fluorescent Protein) et en explique le mécanisme en 1971.

Cette protéine, qui s'associe à l' Aequorine, est formée d'une seule chaîne de 238 acides aminés ; onze feuillets β sont disposés en tonneau (diamètre 2,4 nm et longueur 4,2 nm) :

CFG2.jpg

Structure en tonneau (β barrel)

(Source PDB - GFL)

 

CFG2BIS.jpg

Vue dans l'axe du cylindre

(Source PDB - GFL)

 

Une hélice α traverse le centre du cylindre que constitue le tonneau. C'est sur cette hélice que se trouve le chromophore à l'origine de la couleur verte.

On rappelle qu'un chromophore est un ensemble d’atomes à l’origine de la couleur d’une entité moléculaire et, par extension et plus généralement, à l’origine d’une transition électronique donnée.

C'est en 1979 qu'a été découverte la structure du chromophore :

Il y a réaction entre 3 acides aminés de la séquence, sérine 65 (Ser65), tyrosine 66 (Tyr66), glycine 67 (Gly67).

 

UN.gif

 

Remarque : Les liaisons en pointillés représentent les connexions à la chaîne polypeptidique

 

La sérine

SERINE.gif

forme une liaison covalente avec la glycine

GLYCINE.gif

 

aboutissant à un cycle imidazole

 

DEUX.gif

 

Cette structure subit ensuite une réaction de déshydratation.

TROIS.gif

Elle subit ensuite une oxydation en présence de dioxygène (cette réaction ne peut donc avoir lieu en conditions anaérobies) pour former le chromophore :

QUATRE.gif

 

En résumé les étapes conduisant au chromophore à partir des 3 acides aminés de la chaîne en hélice qui traverse le cylindre sont :

 

CINQ.gif

 

3) Relation entre lumière bleue et lumière verte :

Entre 1969 et 1971, Shimomura décrit, avec son équipe, le mécanisme de cette luminescence. Il s'agit d'une action concertée ; l'aequorine en présence de calcium et de dioxygène émet une lumière bleue (460<λ<480nm) sans avoir besoin d'une excitation lumineuse ; cette lumière est absorbée par la GFP ; le chromophore qui s'est formé au sein de cette protéine, est excité et en se désexcitant restitue une lumière verte de plus grande longueur d'onde (508 nm) ; c'est donc bien une fluorescence qui est à l'origine de la formation de cette lumière par la GFP.

 

4) La GFP utilisée comme marqueur :

La GFP permet de suivre différents processus biologiques et chimiques à l'intérieur d'une cellule ; en la connectant à une des protéines cellulaires, on peut suivre les mouvements de celle-ci, ses interactions donc son comportement au sein des cellules. Il suffit de soumettre les cellules à observer à une lumière bleue (ou UV (396 nm) car la fluorescence a lieu aussi avec une lumière excitatrice UV) pour suivre ses évolutions en observant la brillance verte résultant de la fluorescence de la GFP associée.

Dans les années 1990, Martin Chalfie a l'idée d'utiliser la GFP (Green Fluorescent Protein) comme marqueur biologique pour dresser la carte du Caenorhabditis elegans, un ver non parasitaire d'un millimètre environ constitué de 959 cellules seulement et possédant un cerveau, qui sert de modèle en génétique et qui est transparent.

Il attache le gène codant pour la GFP à ceux codant pour d'autres protéines ; quand une cellule a besoin d'une protéine, elle active le gène correspondant ; si celui-ci est attaché au gène codant la GFP, cette protéine est aussi produite et on pourra donc en suivant la fluorescence de la GFP voir quelles cellules produisent cette protéine et en quel endroit de la cellule cette production a lieu.

C'est ainsi qu'est inséré le gène de la GFP au niveau des neurones impliqués dans la perception tactile de Caenorhabditis elegans ; dans la figure ci-après (image fournie par Chalfie et collaborateurs) on voit les deux récepteurs neuronaux du toucher du ver ALMR  et PLMR marqués et tracés grâce à la GFP.

 

VER.jpg

 

5) Des protéines fluorescentes de différentes couleurs :

Roger Tsien développe des protéines émettant des couleurs autres que le vert (d'abord dans différentes teintes de jaune et de bleu puis plus tard, avec d'autres chercheurs, le rouge) avec plus d'intensité et plus longtemps.

Pour cela il échange différents acides aminés de la GFP.

            - Ainsi la protéine S65T-GFP diffère de la GFP dite "sauvage" par le remplacement de la sérine 65 par une thréonine. Le chromophore est donc formé par Thr65-Tyr66-Gly67 :

 

GFPS65T.gif

Contrairement à la GFP sauvage pour laquelle les deux formes neutre (donc –OH pour le phénol) et anionique (donc –O-) coexistent en quantité égale, la forme anionique prédomine pour la protéine S65T-GFP.

La conséquence est que pour la GFP sauvage, il existe deux bandes d'absorption centrées autour de 396 nm (forme neutre) et 475 nm (forme anionique) et deux bandes très voisines d'émission de fluorescence vertes, 508 nm pour la forme neutre et 503 nm pour la forme anionique, tandis que pour la S65T-GFP il existe deux bandes d'absorption centrées autour de 394 nm (forme neutre) et 488 nm (forme anionique) cette dernière étant nettement plus importante et pratiquement une seule bande de fluorescence verte à 510 nm correspondant à l'irradiation de la forme anionique.

 

            - La YFP protéine fluorescente jaune a un chromophore formé de Gly65-Tyr66-Gly67

 

YFP.gif

Remarque : La fluorescence dans le jaune s'explique par une interaction entre le noyau phénolate du chromophore et un résidu de la tyrosine placée en 203 dans la chaîne protéinique ; cette interaction non covalente entre noyaux aromatiques est appelée π-π stacking.

 

YPF3.jpg

 

La forme neutre du chromophore absorbe à 392 nm et la forme anionique à 514 nm.

La fluorescence due à la forme anionique se situe à 528 nm.

 

            - On a travaillé sur d'autres protéines fluorescentes appartenant à d'autres organismes marins, des coraux, des hydres. Elles ont toutes une structure similaire à celle de la GFP. C'est le cas en particulier de la protéine désignée par DsRed (son nom vient de ce que la première protéine de ce type a été trouvée dans Discosoma striata, un corail champignon) qui émet une fluorescence rouge.

 

Remarque :

Les courbes d'excitation et d'émission de la DsRed sont les suivantes :

            COURBESDSRED.gif

 

On s'aperçoit que la lumière d'excitation se superpose à la lumière émise par fluorescence jusqu'à environ 600 nm. Pour observer la lumière de fluorescence seule, il faut donc se placer au-delà de cette valeur. Dans la pratique on place un filtre 610 nm qui arrête toutes les radiations de longueur d'onde inférieure, c'est-à-dire celles de la lumière d'excitation et une partie de la lumière de fluorescence.

La lumière observée est donc bien dans le rouge (sa longueur d'onde étant supérieure à 610 nm) ; c'est pourquoi bien que le maximum d'intensité de fluorescence soit à 583 nm c'est-à-dire dans le jaune, on dit que la DsRed émet de la lumière rouge.

                                    COURBESDSRED2.gif

Bien qu'on ne soit pas au pic d'émission, la courbe montre que l'intensité lumineuse est encore suffisamment importante pour qu'on voie la protéine.

 

Son chromophore correspond aux acides aminés 66-67-68 ; ce sont la glutamine 66 (Gln66) la tyrosine 67 (Tyr67) la glycine 68 (Gly68) :

 

 

DSRED.gif

 

La formation de ce chromophore au sein de la protéine est la suivante :

 

CROCHETS.gif

 

Actuellement une centaine de ces protéines fluorescentes dérivées de la GFP ou de la DsRed permettent d'accéder à un spectre de couleurs allant de 456 à 655 nm, soit du violet au rouge.

 

L'intérêt de pouvoir avoir des chromophores permettant la fluorescence à différentes couleurs est que l'on peut suivre en même temps le trajet de différentes protéines, si chacune d'elles est affectée d'une couleur différente de celle des autres.

Exemple :

La photographie ci-dessous (Livet et collaborateurs) fait apparaître des fibres nerveuses colorées différemment après modification génétique des cellules nerveuses correspondantes au sein du cerveau d'une souris. Cette expérience  a été appelée "The brainbow" contraction de brain (cerveau) et rainbow (arc en ciel).

 

BRAINBOW.jpg

 

 

6) Des Protéines Fluorescentes Réversiblement Photocommutables

Ces RSFPs (Reversibly Photoswitchable Fluorescent Proteins) correspondent  à des protéines dont le chromophore est activable de manière totalement réversible ; l'expérimentateur peut selon la nécessité de son travail rendre fluorescente la protéine ou au contraire faire cesser cette fluorescence par simple irradiation ; c'est un véritable interrupteur de fluorescence.

Ainsi le chromophore d'une protéine "Dreiklang" (en français "triple accord") a la particularité de pouvoir additionner réversiblement une molécule d'eau ainsi qu'indiqué ci-dessous

DREIKLAND.gif

 

La photo-réversibilité des états (extinction ou allumage) pouvant se faire à 365 nm et 405 nm, tandis que l'excitation de fluorescence a lieu à 515 nm (la lumière émise par fluorescence se situant,elle, à 527 nm).

On lit sur un article d'information du département chimie de l'ENS (10 mai 2017) :

"Au sein de cette famille de RSFPs, le génie biochimique a récemment mis au point la protéine « Dreiklang », dont la particularité est de découpler excitation de fluorescence et photo-réversibilité, ce qui permet de mieux contrôler l'état ON ou OFF. Les études de cristallographie par diffraction de rayons X montrent que cette propriété est liée à une réaction de photocommutation unique parmi les RSFPs, fondée sur l'addition réversible d'une molécule d'eau sur le chromophore. Dans un article paru dans Journal of Physical Chemistry Letters, le Pôle de Photochimie Ultrarapide du Département de Chimie de l’ENS (UMR 8640 PASTEUR– ENS/CNRS/UPMC) rapporte la première étude résolue en temps de la photo-réversibilité de Dreiklang et propose un mécanisme pour la réaction d'hydratation du chromophore. En utilisant la spectroscopie d'absorption transitoire femtoseconde en bande large, les chercheurs montrent que la réaction est déclenchée par la déprotonation ultra-rapide du groupe phénol du chromophore à l'état excité, en 100 fs. Ils proposent que l'éjection du proton conduit à un transfert de charge du groupe phénol vers la partie imidazolinone, qui déclenche à son tour la protonation de l'imidazolinone par un résidu acide glutamique voisin et catalyse l'addition de la molécule d'eau.
Ces résultats représentent une avancée significative dans la compréhension de la photochimie unique de Dreiklang. Ils ouvrent la voie vers la conception de nouvelles RSFPs plus performantes, que les biochimistes façonneront à leur convenance selon les besoins en termes d’excitation et/ou de réversibilité."