ECCHYMOSES

(Wolfgang WERNER Münster)


La structure et la fonction de l'hémoglobine sont présentées. Sa dégradation est également suivie. Des complexes similaires existant dans la nature sont inclus. Les termes techniques et les noms propres sont rendus compréhensibles par des indications sur leur étymologie.


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LE SANG

« Le sang est un liquide à part » fait dire Goethe à Mephisto dans Faust I.

Nous avons un rapport émotionnel au sang, qui peut beaucoup varier d’un individu à l‘autre. Il en est de même, d’un point de vue scientifique, pour la composition du sang ; l’ensemble des propriétés du sang constitue l’hématologie (gr. haima, le sang, et logos la science).

Le sang est un ensemble de globules rouges nommés érythrocytes (gr. Erythros, rouge et cytis, cellule), de globules blancs nommés leucocytes (gr. Leukos, blanc) et de plaquettes sanguines, en suspension dans un liquide appelé plasma.

Le pourcentage en volume des composants cellulaires (surtout des érythrocytes (Tab. 1)) par rapport au volume total du sang est nommé hématocrite (abréviation: hct) (gr. krites, juge). Cette valeur est chez les hommes de 43 à 50 % et chez les femmes de 35 à 44%. Cette valeur est aussi un indice pour la viscosité du sang.

Le plasma représente 50% environ du volume sanguin, c’est une solution aqueuse de protéines colloïdales et d’électrolytes. La proportion relative de ces électrolytes est voisine de celle des composants de l’eau de mer.

La quantité de sang d’un adulte est de 5 à 6 litres. Le sang est aspiré et pompé par le cœur en circuit fermé, il est le moyen de transport pour les hormones et les substances capables de livrer de l’énergie et pour les métabolites ainsi que pour l’oxygène nécessaire au métabolisme.

Les travaux de Galien (129 – 216) et au 13ième siècle ceux du médecin et anatomiste arabe Ibn al Nafis, précèdent la description de la circulation du sang en 1628 par William Harvey (1578 – 1657).

 

LES ÉRYTHROCYTES ET LE TRANSPORT DE L’OXYGÈNE

Les globules rouges ou érythrocytes donnent au sang sa couleur caractéristique. Le colorant rouge est l’hémoglobine (illustration 3), en abrégé Hb.

La partie incolore protéinique de l’hémoglobine est la globine qui doit son nom à la forme des érythrocytes (lat. globulus, sphère). La globine se compose de 2 chaînes a et de 2 chaînes b.

Le groupe prosthétique (gr. prosthetos, lié, ajouté ) est nommé hème (illustration 1a), il s’agit d’un complexe (lat. complexus, entouré, embrassé) fer-porphyrine ; le fer est au centre, entouré en carré par les 4 atomes d’azote de la porphyrine (illustration 2)  (gr. porphura, pourpre , colorant d’un escargot de la méditerranée de l’espèce murex).

Remarque : Pour distinguer la valence du fer on utilise aussi les noms ferrihème (Fe3+) ou hématine (illustration 1b) et ferrohème (Fe2+) ou simplement hème.

Le fer dans l’hémoglobine est sous forme d’ions Fe2+.

Les complexes dont un ligand (lat. ligare, lier) occupe deux ou plusieurs positions de coordination (lat. coordinatio, arrangement) autour du métal sont appelés des chélates (gr. khele pince).

Un ligand tel que la porphyrine a le nombre de coordination 4.

Le complexe hème est de structure octaèdrique (un octaèdre est un volume à 8 faces et 6 sommets), il est le principe colorant de l’hémoglobine.

L’imidazole d’une histidine de la globine occupe une position axiale par rapport au fer (illustration 3) et lie ainsi l’hème et la globine.  L’autre position axiale est d’abord occupée  par une molécule d’eau ; elle est dans les poumons remplacée par une molécule d’oxygène.

Le sang venant des poumons, chargé d’oxygène, est appelé sang artériel et est rouge écarlate. Après la libération de l’oxygène, le sang est appelé sang veineux et prend une couleur pourpre.

Vers 1960 Linus Pauling (1901-1994) et ses collaborateurs trouvèrent que l’hémoglobine chez l’homme, le gorille et le chimpanzé étaient identiques. La structure de l’hémoglobine est la même pour tous les mammifères.

En 1853 le professeur Ludwig Teichmann-Stawiarski (1823-1895) cristallisa à Cracovie l’hème après élimination de la globine. La cristallisation a lieu en présence de l’oxygène de l’air, le fer (II) est oxydé en fer (III), l’hème est alors devenue de l’hématine dont le chlorhydrate est appelée hémine (illustration 1c).

L’hème est également le groupe prosthétique de la myoglobine (gr. myos, muscle) et de certains cytochromes (gr. chroma, couleur).

La myoglobine est l’hémoglobine  dans les muscles et dans le myocarde. Elle donne la couleur rouge à la viande. Les fibres musculaires de la baleine ont un taux de myoglobine 5 à 10 fois plus élevé que celui des mammifères terrestres, elle sert de réservoir d’oxygène. En 1958 John Kendrew élabore la structure de la myoglobine par cristallographie par rayons X ; la globine de la myoglobine est une protéine avec une chaîne composée de 153 acides aminés. Max Perutz a étudié la structure de l’hémoglobine en 1959 ; il y a 4 chaînes protéiniques qui forment la globine, les 2 chaînes α se composent de 141 α aminoacides, et les deux chaînes β se composent de 146 α aminoacides. Les deux chercheurs ont reçu le Prix Nobel de Chimie en 1962.

Les cytochromes sont des protéines colorées, des chomoprotéines qui servent de catalyseurs essentiels à des oxydoréductions dans des réactions biochimiques, comme la respiration cellulaire et la photosynthèse.

TOXINES POUR LE SANG

Le benzène et la dioxine gênent l’érythropoïèse (gr. poiis, action de faire : c’est la formation du sang).

Par oxydation du fer(II) de l’hémoglobine en fer (III) il résulte de la méthémoglobine (abréviation: MetHb) qui peut également accepter de l’oxygène, mais n’a pas la propriété de le transmettre à la cellule comme le fait le fer(II) de l’hémoglobine.

Par contact  prolongé avec l’air, la viande se colore en gris. Ici aussi il s’agit de l’oxydation du fe(II), cette fois dans la myoglobine.

L’oxydation peut être provoquée par des oxydants minéraux, comme par exemple les chlorates et les nitrites alcalins. Les nitrates dans l’eau potable ou dans les légumes peuvent être réduits par voie microbiologique en nitrites.

La formation de méthémoglobine peut être provoquée également par des composés aminés et nitrés, aromatiques comme par exemple l’aniline, la phénylhydrazine et le nitrobenzène.

Un poison redouté est le monoxyde de carbone (CO), gaz incolore et inodore. Il se forme lors d’une combustion incomplète et est présent aussi dans la fumée de cigarette. Ce gaz a une affinité beaucoup plus grande (325 fois ) pour l’hémoglobine que l’oxygène dont il empêche la fixation. Un taux de 0,4%  dans l’air peut être mortel en l’espace d’une heure.

Le gaz monoxyde d’azote peut aussi occuper la position de l’oxygène dans l’hémoglobine et engendrer la transformation de l’hémoglobine en méthémoglobine.

 L’effet toxique du cyanure résulte du blocage de la position de l’oxygène dans la cytochrom-c-oxydase empêchant ainsi la respiration cellulaire et provoquant l’étouffement interne.

Un autre mécanisme d’empoisonnement par les hématoxines (gr.toxicon, poison) est l’hémolyse, c’est à dire la destruction des érythrocytes, au cours de laquelle l’hémoglobine est libérée et qui entraîne une diminution de la durée de vie des globules rouges. On trouve parmi les saponines et des agents tensioactifs, des substances à fortes propriétés  hémolytiques. C’est aussi le principe d’action des venins des serpents et d’insectes ; ainsi dans le cas du paludisme les globules rouges atteints sont détruits.

L’effet toxique du sulfure d’hydrogène (H2S), gaz malodorant, est lié à la destruction de l’hémoglobine ; dans ce cas on soupçonne que les enzymes qui servent à transmettre l’oxygène sont désactivés.

Dans la salaison, le sel qui sert à conserver la viande, contient à part le chlorure de sodium 0,4 à 0,5% de nitrites. À partir des nitrites se forme dans le milieu acide de la viande du monoxyde d’azote qui prend la place de l’oxygène dans la myoglobine pour donner la nitrosomyoglobine de couleur rose permanente.

 

HÉMATOMES

En général le sang coule dans le système vasculaire. Les vaisseaux qui viennent du coeur et qui laissent sentir le pouls, sont appelés artères (gr. arteria, rempli d’air selon ce qu’on imaginait dans  l’antiquité). Les vaisseaux allant vers le cœur, transportant le sang ayant cédé l’oxygène, sont appelés veines (lat. vena).

Les taches bleues peuvent avoir des origines multiples. La cause est toujours la même : Il y a du sang sorti du système vasculaire dans les tissus et cela devient visible à l’œil nu lorsque le sang se trouve à une profondeur allant de 0,5 à 2 mm sous la peau.

Le terme médical d’hématome vient du nouveau latin après le 13/14ième siècle et la terminaison grecque « om » est utilisée pour désigner des renflements.

À cause de l’hémoglobine on pourrait s’attendre à des taches rouges. Mais les  grandes longueurs d’ondes de la lumière sont plus absorbées que les longueurs d’ondes courtes qui donnent une lumière plus dispersée ; ainsi l’hématome apparaît bleu, les veines aussi pour la même raison ; le phénomène est  moins visible pour les artères qui se trouvent plus en profondeur.

L’œil au beurre noir, dont l’origine est souvent une bagarre, les taches bleues de chutes ou de prises de sang, changent de couleur et deviennent vertes puis jaunes brunâtres. C’est le  résultat de la dégradation de l’hémoglobine (illustration 3) qui après avoir cédé le fer et la globine se transforme en biliverdine verte (illustration 4) puis en bilirubine (illustration 5) de couleur rouge, jaune à brun (lat. bilis, bile).

L’étape initiale est l’attaque oxydative dans le système porphyrinique (illustration 3) d’un groupe méthine (-C=), il en résulte la biliverdine (illustration 4). La réduction de la biliverdine pour donner la bilirubine a lieu sur  la double liaison marquée par une flèche dans l’illustration 4. La bilirubine est peu soluble. Pour le transport elle est solubilisée en s’associant avec de l’albumine et est alors nommée bilirubine primaire, ou bien un de ses groupes carboxyliques est estérifié par un des groupes hydroxyliques de l’acide glucuronique (illustration 6), elle est alors appelée bilirubine secondaire.

La coloration jaune du sérum sanguin est due à ces formes solubilisées de la bilirubine. Le préfixe bili- dans ces noms s’explique par leur évacuation dans le liquide biliaire. Le liquide biliaire est sécrété dans le duodénum. La bilirubine y est libérée par voie bactérienne et transformée  par l’urobilinogène incolore (gr. uron, urine; genesis,naissance) en urobiline et finalement en stercobiline rouge-brun (lat. stercus, excrément).

Ces produits de dégradation comme la bilirubine sont résorbés et sécrétés  à nouveau dans la liqueur biliaire. 20% des colorants biliaires sont ainsi soumis au cycle entérohépatique (gr. hepar, le foie; enteron, l’intestin) et 80% sont éliminés par les selles dont la couleur est due à la stercobiline.

Les produits de dégradation de l’hémoglobine résorbés sont en partie excrétés par l’urine et lui donnent la couleur jaune. Les colorants de l’urine sont parfois rassemblés sous le nom d’urochromes, nom qui ne représente pas un groupe chimique défini. De plus, quelques produits du métabolisme de la nourriture et des médicaments peuvent contribuer à donner sa couleur à l’urine.

L’intensité des taches bleues diminue continuellement, puisque les produits de dégradation sont éliminés progressivement. Un hématome a disparu en général après une à trois semaines. Puisque la dégradation et le transport des produits de dégradation n’ont pas tous lieu à la même vitesse, on observe aussi des  superpositions de couleurs.

Cette dégradation de l’hémoglobine n’est pas l’apanage des seules taches bleues. Les globules rouges ont une demie vie de 120 jours environ, après ils sont dégradés dans la rate et dans le foie. Les aminoacides de la globine sont mis à la disposition de l’organisme ainsi que le fer qui peut également être stocké. Si le taux de bilirubine est très élevé, on voit la couleur jaune à travers la peau et dans la membrane sclérotique de l’œil, on parle alors d’ictère ou de jaunisse.

Chez le nouveau né c’est un procédé normal puisque les érythrocytes fœtaux sont dégradés et remplacés par des érythrocytes d’adultes nouvellement formés. C’est pourquoi apparaissent entre temps  des taux de bilirubine élevés. L’ictère chez les adultes peut être le signe, pour le médecin, d’un dérèglement.

Jusqu’en 1984 on  expliquait l’effet de la photothérapie sur l’ictère par la photo-oxydation ; en fait la lumière  provoque une isomérisation de deux doubles liaisons pour former de la lumirubine qui peut être plus facilement évacuée.

 

AUTRES PORPHYRINES ET COMPOSÉS VOISINS.

Les porphyrines, formées pratiquement par tous les organismes, sont des composés essentiels pour la vie parce qu’ils jouent un rôle important dans respiration cellulaire. La biosynthèse de la porphyrine, système à quatre cycles pyrroliques, se fait à partir de l’acide 5-amino-lévulinique. Le produit intermédiaire est la protoporphyrine IX (gr. proto, premier) (illustration 8), qui possède déjà le système aromatique de 18 électrons π grâce à quatre noyaux pyrroliques liés par quatre groupes méthynes.

Il est bien visible que l’hème (illustration 1a) et la chlorophylle (illustration 9) (gr. chloro, vert ; phyllon, feuille) sont très semblables, sauf que la chlorophylle contient du  magnésium au centre à la place du fer. Les substituants périphériques sont en partie modifiés, ce que reflètent les spectres d’absorption qui servent à distinguer les différentes molécules de la chlorophylle. En plus le groupe  -CH2-CH2-COOH en position 17 (pour la numération voir l’illustration 2) est estérifié par l’alcool diterpénique saturé, le phytol (gr. phyton, plante).

C’est Hans Fischer (1881-1945) qui a élucidé la structure de la chlorophylle en 1940 à Munich. En 1930 il avait reçu le prix Nobel pour la synthèse de l’hémine. Il a continué à travailler sur les colorants biliaires et a synthétisé en 1942 la bilirubine.

La cobalamine est le porteur de l’oligoélément cobalt. On la désigne aussi comme vitamine B12 ou selon sa fonction, coenzyme B12. Dans la cobalamine c’est la corrine (illustration 11) (lat. corona, couronne) qui est le ligand à quatre positions pour le cobalt Co2+, comme pour le fer dans l’hème.

La corrine est apparentée à la porphyrine : elle est constituée de quatre pyrroles réduits dont deux sont directement reliés, les trois autres étant liés par trois groupes méthynes. La corrine n’est pas aussi plane que la porphyrine ; elle n’est produite ni par les plantes ni par les animaux, mais par des microorganismes, qui sont introduits dans le système digestif et qui y vivent en symbiose. La production industrielle de la vitamine B12 utilise également des microorganismes ; elle est un produit secondaire de la production microbiologique des antibiotiques. Un procédé de fabrication de la vitamine B12 utilisant le bacillus megaterium a été breveté.

Au premier coup d’oeil l’hémocyanine semble faire part de ce groupe de composés. Le préfixe hém- veut simplement exprimer ici que ce colorant bleu (gr. cyaneos, bleu) sert au transport de l’oxygène chez les arthropodes (ce sont les écrevisses, les araignées et les insectes) et les mollusques (ce sont les moules, les escargots et les céphalopodes). L’oxygène est lié à deux atomes de cuivre complexés par deux acides aminés, qui donnent à ce « sang » la couleur bleue.


Tableau 1
 

Composition de notre sang :

48,56% d’eau (liquide sanguin ou plasma sanguin)

1,08 % de lipides, sucres et sel

4,4% de protéines

42,7% de globules rouges (érythrocytes)

0,06% de globules blancs (leucocytes)

2,14% de plaquettes sanguines (thrombocytes)

Croix Rouge d’Autriche


iIllustration 1a                                                              illustration 1b               

HEMEXHEMATINEX

 

Hème ( ou noyau hème)                                               Hématine

 

Illustration 1c

 

SANGWW1

Hémine (chlorhydrate d’hématine),ou Cristaux de Teichmann


illustration 2
PORPHYRINEWW
Porphyrine


illustration 3

 IMIDAZOLEX

Hémoglobine


La flèche qui ne pointe pas vers le fer, indique la position d’attaque oxydative pour la formation de la Biliverdine (illustration 4)

 

HEMOGLOBINEX

Imidazole de l’histidine dans la globine

La flèche indique la position de la fixation sur l’hème.


illustration.4
BILIVERDINE2.gif
Biliverdine
La flèche indique la double liaison, qui est hydrogénée (réduite) pour  donner la Bilirubine (illustration 5)


illustration.5

BILIRUBINE

Bilirubine


illustration 6

ACGLUCURONIQUE


Acide Glucuronique


illustration 7
STERCOBILINE
Stercobiline


illustration.8

PROTOPORPHYRINE
Protoporphyrine IX


illustration.9
CHLOROPHYLLEX

Chlorophylle


illustration.10
Phytol2
Phytol


illustration.11

CORRINE
Corrine


Traduction Pauline Werner


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