FORMALDEHYDE

Un polluant de l'air intérieur omniprésent.

(Gérard GOMEZ)


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1) Position du problème :

Le formaldéhyde est aujourd'hui considéré par les autorités sanitaires françaises comme un des polluants prioritaires à gérer (en dehors de l'amiante, du radon et du monoxyde de carbone), du fait de son caractère cancérigène certain (d'après le CIRC qui dépend de l'OMS) et de la fréquence de sa présence dans notre environnement : panneaux de particules agglomérées, mousses isolantes urée-formol, certaines moquettes, peintures au latex, adhésifs, vernis, papiers peints, carton blanchi, certains détergents à vaisselle, des assouplissants, certains produits cosmétiques (vernis à ongles et durcisseurs d'ongles), fumées de foyers et de poêles à bois, fumées de cigarettes, émanations de véhicules dans les garages adjacents…..

En général le formaldéhyde est émis sous forme gazeuse et cette émission tend à diminuer avec le temps et finit par cesser au bout d'une durée qui varie de quelques semaines à quelques mois voire quelques années suivant la nature des sources.

2) Risques encourus :

Ils dépendent du niveau d'exposition ; on mesure ces niveaux en microgrammes de formaldéhyde par mètre cube d'air (µg/m3) :

            - Jusqu'à environ 50 µg/m3 pour une exposition de court terme (2 heures) ou 10 µg/m3 pour une exposition de long terme, on ne distingue aucun effet critique sur la santé ; le risque encouru est qualifié de faible.

            - Entre 50 et 125 µg/m3 environ  une exposition à long terme peut causer des problèmes respiratoires comme la toux, la respiration sifflante et une sensibilité allergique, en particulier chez les enfants ; le risque est qualifié de moyen.

            - Au-delà de 125 µg/m3 une irritation des yeux, du nez et de la gorge apparaît et à court terme les syndromes respiratoires décrits pour une exposition moyenne à long terme apparaissent ; il s'agit d'un risque élevé.

            - Pour des concentrations très importantes pendant de longues durées (risques professionnels pour certains travailleurs industriels) on peut observer des cancers de la cavité nasale. Mais ces risques ne peuvent survenir aux concentrations que l'on trouve dans la plupart des maisons ou appartements individuels (En France la moyenne rencontrée dans les appartements est 20 µg/m3).

 

On peut assez facilement maintenir un niveau faible d'exposition au formaldéhyde dans les habitations en renouvelant régulièrement l'air intérieur et en réduisant le taux d'humidité car celui-ci favorise l'émission du formaldéhyde, en entretenant les conduits de cheminées, en évitant de faire tourner un moteur de voiture sous les fenêtres de la maison, en achetant des meubles et des produits exempts de formaldéhyde ou des meubles dont les panneaux de particules ont été recouverts d'un placage (plastique stratifié) ou sont pelliculés de tous les côtés.

D'une façon anecdotique on peut signaler que Chlorophytum (voir image ci-dessous) dégrade le formaldéhyde.

 

 CHLORPHYTUM2.JPG

 

            3) Méthanal, formaldéhyde, formol :

                        3-1) Propriétés :

Méthanal est en fait le nom systématique du formaldéhyde ; c'est le plus simple des aldéhydes de formule moléculaire CH2O et de formule développée :

METHANAL.gif

C'est un gaz à odeur piquante à la température ambiante, son point d'ébullition est -19,1°C ; il est soluble dans l'eau, une solution aqueuse à teneur en méthanal comprise entre 30 et 50% porte le nom de formol ; le méthanal est alors entièrement sous forme d'hydrate (gem diol ou diol géminé : CH2(OH)2) :

GEMDIOL.gif

sous cette forme il se polymérise lentement en paraformaldéhyde (CH2O)n :

Paraformaldehyde.gif

Chauffé fortement le paraformaldéhyde se retransforme en formaldéhyde ; il constitue ainsi une source commode de formaldéhyde gazeux.

On peut éviter cette polymérisation par addition d'une petite quantité de méthanol.

En longues chaînes, le paraformaldéhyde constitue un polymère, le polyoxyméthylène (POM) très utilisé dans l'industrie automobile, l'industrie électronique, l'industrie des sports. Son instabilité à haute température et en présence d'acides dilués a été supprimée en modifiant les terminaisons de chaînes pour en faire des esters ou des acétals. Il a été commercialisé pour la première fois en 1959 sous la marque Delrin par DuPont ; il présente une résistance élevée aux agents chimiques et présente une large plage de température d'utilisation.

 

Le formaldéhyde est obtenu industriellement par oxydation du méthanol à une température de 600 à 650°C en utilisant un catalyseur à base d'argent.

En présence de dioxygène l'équation de la réaction est :

FORMOLMETHANOL.gif

Le méthanol provient lui-même de la synthèse :

SYNTHMETHANOL.gif

Le mélange (CO + 2H2) appelé gaz de synthèse est obtenu à partir du méthane.

Le formaldéhyde joue un rôle important dans la biosynthèse de certains acides aminés.

 

                        3-2) Utilisations :

 

            - En agriculture : on l'utilise

 

                        a) pour ses propriétés antimicrobiennes (traitement anti-salmonellique) ; mis au contact de produits alimentaires il réagit d'abord avec les amines (I) et (II) pour donner d'une façon réversible un dérivé "N- méthylol" de l'amine qui constitue un fongicide et possède des propriétés antimicrobiennes et désinfectantes.

METHYLOL.gif

 

                        b) pour ses propriétés de conservateur (c'est un agent d'ensilage) : On montre que pour conserver les fourrages dans de bonnes conditions il faut l'anaérobiose et un abaissement très rapide du pH. L'association acide formique (abaissement du pH) et formol (propriétés bactériostatiques qui inhibent les fermentations indésirables sans trop modifier la fermentation lactique recherchée) s'est montrée optimale avec 2/3 d'acide et 1/3 de formol.

                        c) pour ses propriétés tannantes (protection des protéines) : la forte réactivité du formaldéhyde avec les groupements amines permet des liaisons avec les protéines ce qui les protège de la dégradation microbienne ; c'est le principe du tannage des protéines, qui est surtout utilisé en France pour les tourteaux de soja, colza et tournesol.

                        d) le formaldéhyde sous forme de formol est également utilisé en tant qu’auxiliaire technologique pour la détoxication du tourteau d’arachide.

 

Remarque : Des études ont montré que le niveau endogène (0,023 à 0,039 mg/L) de formaldéhyde dans le lait provenant de vaches nourries avec des fourrages d'ensilage ou des tourteaux de soja tannés, augmentait légèrement et qu'il en était de même dans la viande.

 

            - Dans l'industrie :

 

                        a) La condensation de l'urée avec le formol;

Avec le méthanal en solution à environ 40% (formol) l'urée conduit à un réseau tridimensionnel serré, des résines thermodurcissables dîtes résines urée-formol. La réaction a lieu en présence d'ammoniac ou d'hexaméthylènediamine comme catalyseur. Le produit obtenu est visqueux ; il peut servir à l'imprégnation des tissus ; en le faisant durcir sous pression, à chaud et en présence d'acide, on peut en faire des verres organiques car le matériau obtenu est transparent et infusible ; on peut également lui adjoindre des charges (cellulose par exemple) et des pigments et procéder à des moulages (vaisselle) ; on peut aussi préparer des colles à bois servant de liant aux particules de bois agglomérées pour former des panneaux, et enfin on peut aussi obtenir des mousses isolantes (MIUF) injectées pour isoler les murs des bâtiments…..

Première étape de la condensation :

AMINOPLASTE1

puis progressivement un réseau tridimensionnel serré :

AMINOPLASTES2

                        b) La condensation de la mélamine avec le formol :

La mélamine :

 

MELAMINE

 

conduit aussi, par condensation avec le formol, à un réseau tridimensionnel (polymère thermodurcissable) utilisé pour fabriquer des colles à "durcisseur", des assiettes, des plats…

                        c) La condensation de formol avec des phénols conduit également à des polymères appelés phénoplastes et dont le plus célèbre est la bakélite. Leur élaboration comporte trois stades A, B, C. Ils sont fluides dans l'état A, pâteux à chaud dans l'état B, durs et infusibles dans l'état C après que les résines aient été mélangées à des charges (poudre de bois) à des plastifiants et des pigments puis aient été chauffées et comprimées.


Exemple: résine Benzophénol-Formol (méthanal) = bakélite (ce nom vient de son inventeur : L.H.Baekeland 1863-1944, chimiste belge puis américain).

BAKELITE

On obtient des matières dures (plastiques thermodurcissables), de couleur sombre, à propriétés isolantes avec lesquelles on fait des objets moulés (queues de casseroles), des supports de circuits imprimés, des résines échangeuses de cations (type phénoplaste sulfoné).
Globalement on peut considérer qu'il s'agit d'une élimination d'eau entre deux cycles benzéniques et une molécule d'aldéhyde ; l'existence de trois endroits réactifs sur la molécule de phénol (en ortho et en para par rapport au OH) permet la formation d'un réseau complexe tridimensionnel (résine) dont la représentation ci-dessus n'est que partielle.

            - Autres utilisations :

                        a) On l'utilise comme additif alimentaire de l'alimentation humaine sous le code E 240.

                        b) Il sert aussi de fixateur en histologie et de conservateur de cadavres d'animaux et d'humains (thanatopraxie).

 

                        3-3) Méthodes de détermination de la teneur en formaldéhyde de l'atmosphère :

Il existe plusieurs méthodes qui dépendent des circonstances dans lesquelles cette détermination est effectuée ; s'il s'agit de déterminer ponctuellement la teneur de l'air en formaldéhyde, lors d'un pic de pollution par exemple, on ne procède pas exactement comme lorsqu'il s'agit de déterminer une valeur moyenne, dans une pièce sur la journée.

 

                                   - Prélèvement sur cartouche imprégnée de 2,4-DNPH et analyse ultérieure :

Il s'agit d'une méthode de référence dont le principe est le suivant (source INRS) :

On fait circuler l'air à analyser avec un débit qui dépend de l'importance supposée de la teneur en formaldéhyde (0,1 à 2 L par minute) sur une cartouche de silice imprégnée de 2,4-DNPH (tube de verre de 150mm de long et de 8 mm de diamètre intérieur) ; Le formaldéhyde (et les autres composés carbonylés éventuellement présents) réagit sur la 2,4-DNPH suivant l'équation :

DNPHFORMOL.gif

On obtient donc (si plusieurs composés carbonylés sont présents) un ensemble d'hydrazones qu'il convient de séparer par HPLC (Chromatographie liquide haute performance) en éluant avec de l'acétonitrile, puis de détecter par spectrométrie UV à 360nm. Le repérage du pic du formaldéhyde se fait par le temps de rétention et la quantification par la surface sous le pic en se référant à des courbes d'étalonnage réalisées préalablement.

On peut aussi remplacer la technique de séparation par HPLC en utilisant la CPG (Chromatographie en phase gazeuse) avec un détecteur à ionisation de flamme éventuellement couplé à un spectromètre de masse ou  avec un détecteur thermoionique.

La méthode est assez sensible et permet d'évaluer des teneurs de l'ordre de 36 µg de formaldéhyde par m3 d'air.

 

                                   - Capteurs :

La méthode précédente, surtout si elle utilise la CPG comme moyen de détection et de quantification reste une méthode lourde et peu utilisable sur le terrain pour évaluer des pics de pollution. Il existe à cet effet des capteurs chimiques ou biologiques dont nous allons donner le principe.

 

                        a) Capteurs chimiques :

Les molécules gazeuses de formaldéhyde sont piégées sélectivement et par réaction chimique donnent une substance changeant de couleur ou fluorescente ; la quantification du formaldéhyde se fait alors par dosage colorimétrique ou directement par mesure de la fluorescence.

# Le formaldéhyde peut par exemple réagir avec l'oxo-3-butanoate d'éthyle (acétylacétate d'éthyle) :

HANTZSCH1.gif

puis condensation du composé obtenu avec l'ammoniac conduisant à une dihydropyridine :

HANTZSCH2.gif

Après oxydation de cette molécule suivie de l'hydrolyse de la fonction ester et d'une décarboxylation :

HANTZSCH3.gif

HANTZSCH4.gif

on obtient la 2,6-diméthylpyridine  ou lutidine qui est un composé ayant une fluorescence dans le bleu. La série de réactions décrite plus haut est appelée réaction de Hantzsch.

 

# Le formaldéhyde peut aussi réagir sur le fluoral-P (4-aminopent-3-èn-2-one) :

FLUORALP.gif

pour donner la 3,5-diacétyl-1,4-dihydro-2,6-lutidine (DDL)

 

DDL.gif

substance fluorescente permettant la quantification du formaldéhyde par mesure fluorimétrique ; la DDL excitée à 410 nm se désexcite par émission de fluorescence à 510 nm.

Au CEA de Saclay, l'équipe de Mme Thu-Hoa TRAN-THI a mis au point un capteur Sol-Gel pulsé (xérogel, polymère poreux de silice) constituant des matrices nanoporeuses agissant comme des éponges et dopées de fluoral-P (molécule-sonde) qui permettent de détecter optiquement le polluant via la fluorescence du DDL.

 

                        b) Capteurs biochimiques :

Le principe est l'utilisation d'enzymes pour obtenir des réactions biochimiques spécifiques du formaldéhyde ; par exemple utilisation de la formaldéhyde déshydrogénase (FDH) qui couplée à NAD+ oxyde le formaldéhyde en acide formique et produit une molécule fluorescente, le NADH que l'on peut mesurer par fluorimétrie.

D'une façon générale ces capteurs sont moins avancés que les capteurs chimiques.