LA SOIE

Gérard GOMEZ

Avec la collaboration de Jacques BARON.


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Plan de l'exposé

 

1) Soie – Soie sauvage – Soie artificielle

2) La soie

                2-1) La fibroïne

                2-2) La séricine et les autres constituants

                2-3) La sériciculture – Le ver à soie

                               2-3-1) La sériciculture

                               2-3-2) Bombyx mori

                2-4) Les traitements du cocon

                2-5) Les traitements de la soie

                2-6) Quelques dates

3) La soie sauvage

4) La soie artificielle


1) Soie – Soie sauvage – Soie artificielle :

La soie est le produit filamenteux des glandes séricigènes des araignées et des larves de divers insectes.

Le matériau qui a été le plus utilisé pour fabriquer des textiles dits "en soie naturelle" correspond à la sécrétion  des chenilles du bombyx du mûrier (Bombyx mori) lorsqu'elles fabriquent leur cocon pour abriter leur nymphose.

Les soies dites sauvages ou tussah sont obtenues à partir d'autres cocons que ceux de Bombyx mori ; ce sont généralement ceux de larves de papillons du genre Antheraea  vivant sur des chênes, en Inde ou en Chine.

Ce que l'on a appelé la soie artificielle c'est-à-dire la rayonne est obtenu par traitement d'un polymère naturel, la cellulose.

 

2) La soie :

            2-1) La fibroïne :

La soie brute (on dit grège) est constituée d'environ 65% de fibroïne, un polypeptide relativement simple dont la composition (nature des aminoacides qui la composent) varie suivant la larve qui l'a produite (différente donc pour la soie et la soie sauvage).

La fibroïne de la soie du bombyx du mûrier est une protéine fibreuse constituée de 17 aminoacides principaux ; elle est très riche en glycine (38%), alanine (25%), sérine (13%) tyrosine (12%) mais elle contient aussi de la phénylalanine et du tryptophane :

 

Glycine (abréviation : Gly)

GLY.gif

Alanine (abréviation : Ala)

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Sérine (abréviation : Ser)

SER.gif

Tyrosine (abréviation : Tyr)

TYR.gif

Phénylalanine (abréviation Phe)

PHA.gif

Tryptophane (abréviation Trp)

TRP.gif

 

La structure de la fibroïne est séquencée c'est-à-dire que sa macromolécule est elle-même formée d'éléments macromoléculaires qui diffèrent entre eux par leur constitution. On y trouve de nombreuses séquences Gly-Ala-Gly :

SEQ1.gif

et de nombreuses séquences Gly-Ser-Gly :

SEQ2.gif

arrangées en feuillets plissés antiparallèles dans lesquels les chaînes latérales de l'alanine (-CH3) et de la sérine (-CH2OH), désignés par "R" dans la représentation ci-dessous, se glissent dans des "creux" des feuillets voisins. La périodicité de la fibroïne, c'est-à-dire la distance entre deux C=O qui ont la même orientation est de 0,7nm ce qui  est compatible avec une telle structure.

 

   SOIESTRUCTUREX2.gif

 

La fibroïne est flexible car l'empilement des feuillets n'est maintenu que par des interactions de Van der Walls (liaisons de faible énergie) ; la soie est moyennement extensible car lorsqu'on tire selon l'axe des chaînes constituant les feuillets, on tire sur des liaisons covalentes (liaisons de forte énergie).

Ces zones "microcristallines" (du fait de la très grande uniformité de structure) correspondant à des aminoacides de faible masse molaire, donnent à la soie sa ténacité (aptitude à résister à la déformation ou à la rupture sous un effort continu), sa charge de rupture est d'environ 300N/mm2 comme l'acier doux, supérieure à celle de l'aluminium (100N/mm2) ; elles alternent avec des zones amorphes constituées de macromolécules de masse molaire plus élevée (formées avec tyrosine, phénylalanine, tryptophane) réparties statistiquement, assurant à la fibroïne sa résilience (aptitude à subir des efforts brusques ou des chocs sans rupture).

La masse molaire moyenne de la fibroïne se situe entre 350 et 415 kiloDaltons.

            2-2) La séricine et les autres constituants :

Dans la soie grège, directement issue du cocon, la fibroïne est entourée d'un matériau appelé séricine que l'on enlève (décreusage) lorsqu'on souhaite utiliser la soie dans l'industrie textile.

La séricine (entre 20 et 25% du filament de grège) est une protéine constituée par les mêmes aminoacides que ceux de la fibroïne, en proportions différentes. Cette protéine globulaire est de structure amorphe analogue à celle de la gélatine.

Outre la fibroïne et la séricine on trouve de l'eau (environ 12%) et des traces de matières grasses, de matières cireuses, de matières colorantes et de matières minérales.

            2-3) La sériciculture – Le ver à soie :

 

                        2-3-1) La sériciculture :

C'est une activité qui englobe toutes les opérations se rapportant à l'élevage du ver à soie jusqu'à la production du cocon.

Elle est pratiquée depuis très longtemps en Chine et en Inde et s'est répandue dans l'Empire romain au VIème siècle et en France à la fin du XVIIIème siècle ; les bâtiments servant à cet élevage s'appellent des magnaneries.

Les opérations sont nombreuses et délicates et nécessitent des conditions assez drastiques de température, d'hygrométrie mais aussi d'hygiène pour éviter les maladies.

                        2-3-2) Bombyx mori :

Le bombyx du mûrier est un papillon (lépidoptère) domestique nocturne ; il est inconnu à l'état sauvage.

La femelle plus grande que le mâle ne vole pas. Le mâle peut, grâce à des antennes très développées, déceler une phéromone émise par la femelle, le bombykol (voir tableau 1) et venir s'accoupler avec elle.

Cinq cents œufs environ (encore appelés graines) sont pondus trois jours après et donnent naissance au bout d'environ quinze jours à des chenilles qui après quatre mues atteindront l'état adulte.

C'est la chenille qui élabore la matière soyeuse (au début c'est une substance gélatineuse) dans deux glandes séricigènes ; ces deux glandes débouchent chacune sur un tube capillaire ; ces deux tubes se réunissent pour former un seul conduit appelé filière d'où sort un fil unique devenant consistant (soie grège) que la chenille enroule autour d'elle pour former le cocon. C'est dans ce cocon que le ver à soie se transforme en chrysalide ; le papillon qui en résulte perce le cocon en secrétant une salive alcaline qui va dissoudre la soie et sort de son enveloppe. Le cycle peut recommencer.

La chenille se nourrit exclusivement de feuilles de mûrier, essentiellement le mûrier blanc (Morus alba) un arbre de la famille des moracées, originaire de Chine et pouvant atteindre 18m de hauteur mais le plus souvent taillé à une hauteur bien inférieure pour faciliter le ramassage des feuilles ; les quantités ingurgitées par les chenilles dépendent de leur stade de développement et deviennent considérables au stade adulte.

 

2-4) Les traitements du cocon :

Un cocon correspond à un fil de soie grège de longueur variant entre 800m et 1500m. Pour éviter que ce fil ne soit coupé au moment où le papillon perce le cocon pour sortir, on tue la chrysalide dans le cocon en soumettant celui-ci à de l'air chaud (70°C) ou en le plaçant dans une étuve.

                        - La filature :

On plonge le cocon dans de l'eau bouillante et on le soumet à un brossage vigoureux à l'aide de brosses mécaniques rotatives spéciales, ce qui permet d'enlever les petits fils discontinus de l'extérieur du cocon (blazes) et de dégager l'extrémité libre du fil que l'on dévide ensuite.

Selon la grosseur du fil que l'on souhaite on dévide simultanément un certain nombre de cocons placés dans de l'eau à 90°C ; on réunit les fils et on les fait passer dans un orifice unique appelé filière. Comme on ne peut pas mesurer le diamètre des fibres naturelles compressibles et pas très lisses on utilise la masse d'une certaine longueur de fil ; plus elle est importante, plus le fil est gros. Une des unités anciennement utilisée est le denier qui correspond en grammes à la masse de 9000m de fil (un fil d'un denier a une masse de 1g pour 9000m de longueur ; on utilise aujourd'hui le tex qui correspond à 1g pour 1000m de longueur ; 1 tex équivaut donc à 9 deniers). Par comparaison avec des fibres artificielles dont on peut mesurer le diamètre et en considérant que les masses volumiques ne sont pas très différentes, on peut évaluer les diamètres des fils de soie à partir du denier. On considère qu'un denier correspond à un diamètre de 10µm. Des fils de 16 deniers soit 40 µm (il n'y a pas proportionnalité car la masse augmente comme le carré du diamètre) par exemple sont parmi les plus fins dont on peut raisonnablement faire usage.

            2-5) Les traitements de la soie :

                        - La croisure :

C'est une opération qui consiste à croiser le fil précédemment obtenu sur lui-même ou sur d'autres fils, ce qui le polit et l'arrondit ; on le dispose enfin en écheveaux sur un dévidoir appelé guindre.

                        - Le moulinage :

On tord le fil de soie grège pour en augmenter la résistance ; cette opération permet aussi d'évacuer certaines impuretés qui adhèrent encore au fil.

                        - Le décreusage :

A ce stade on souhaite débarrasser le fil de soie de sa gaine de séricine (grès) pour lui donner souplesse et brillance. On le place pour cela dans de l'eau savonneuse chaude.

Si le décreusage est total on obtient de la soie souple ; s'il n'est que partiel on dit que la soie est cuite, ou mi-cuite s'il est encore plus imparfait.

Pour compenser la perte de poids de la soie souple due à la perte de séricine et pour qu'elle couvre mieux au tissage, on la fait gonfler en précipitant un silicophosphate d'étain sur la fibroïne.

Les déchets résultant de toutes les opérations précédemment décrites, sont récupérés et travaillés ; on en fait un fil appelé schappe qui est utilisé dans certaines opérations de tissage.

                        - La teinture :

La soie est une fibre protéinique animale mais s'agissant de la mettre en contact avec des colorants, il faut tenir compte des particularités dues à sa constitution.

Le grès (gaine de séricine) est imperméable à la teinture donc il faut décreuser.

On peut réaliser la teinture ou l'impression d'un tissu de soie. Si on veut teindre les fils de soie pour obtenir des effets après tissage, on fait des écheveaux.

Les éléments de la soie susceptibles de permettre la fixation des colorants sont les groupes peptidiques –CO-NH- ainsi que en proportions bien plus faibles, les groupes terminaux –NH2 (ou NH3+) et –COOH (ou –COO-).

La soie peut-être traitée :

 SOIE1

SOIE2

NB : Les colorants basiques (dits cationiques) ne donnent pas de résultats acceptables, ce qui peut sembler prévisible, les groupes –COO- de la soie étant en proportion relativement faible.

soie3

 

            2-6) Quelques dates :

L'origine du travail de la soie est l'Orient.

La Chine qui le pratiquait déjà 1700 ans avant J.C. en a gardé très longtemps le monopole.

Le transport et le commerce de la soie avant l'ère chrétienne déjà, se faisait grâce à des caravanes qui traversaient l'Asie et reliaient la Méditerranée à la Chine à travers l'Afghanistan, le Turkestan, … C'est ce qu'on a appelé la route de la soie.

Il a fallu attendre le VIème siècle pour qu'il se développe au Moyen-Orient et en Grèce et le XIIème siècle pour le trouver en Italie via la Sicile, puis en Espagne.

Louis XI crée en 1480 la première manufacture à Tours. La fabrique de Lyon voit le jour en 1536 grâce à François Ier. A la fin du XVIème siècle Henri IV encourage l'élevage du ver à soie et fait planter (grâce aux travaux d'Olivier de Serres) 400 000 mûriers notamment en Cévennes et en Ardèche.

Au XVIIIème siècle les soieries lyonnaises acquièrent une réputation universelle et c'est au XIXème siècle qu'est inventé le métier Jacquard.

Dans la seconde moitié du XIXème siècle commence le déclin de la soierie lyonnaise sous l'effet de l'industrialisation, de la concurrence étrangère mais aussi de l'apparition de la soie synthétique (Rayonne – Chardonnet 1890).

C'est de Chine, juste retour des choses, que vient de nos jours, la plus grosse production de soie grège et de soie tissée.

           

3) La soie sauvage :

Bombyx mori ne se nourrit que de feuilles de mûrier. C'est ce qui limite en pratique, la rentabilité de l'industrie de la soie.

La Chine et l'Inde ont cherché à contourner cette difficulté en utilisant des vers se nourrissant de feuilles d'essences forestières très variées ; ces vers appartiennent à certaines espèces du genre Antheraea ; dans les zones tropicales c'est la soie de A.mylitta qui est exploitée commercialement et dans les zones tempérées il s'agit de la soie d'un hybride interspécifique issu du croisement de A. roylei et de A.pernyi.

Cette soie sauvage porte le nom de tasar en Inde et de tussah ou tussor à l'étranger. Il existe plusieurs variétés de soie sauvage ; celle qui est la plus irrégulière avec une texture marquée porte le nom de "shantung".

 

4) La soie artificielle :

Depuis le 8 juillet 1934 la dénomination soie artificielle correspondant à un matériau obtenu à partir de la cellulose, susceptible d'être filé et ressemblant à de la soie est interdite ; les fabricants ont unanimement choisi l'appellation rayonne.

La cellulose est une macromolécule linéaire et non–ramifiée, formée d'environ 500 à 5000 unités monomères de glucose reliées les unes aux autres par des liaisons β–glycosidiques.

WWAB6

La cellulose est la substance de soutien (parois) des cellules des plantes (par exemple dans le cas du bois).

Lorsqu'on traite la cellulose par de la soude concentrée, on obtient un "alcali-cellulose" qui réagissant avec du sulfure de carbone CS2, conduit au xanthate de cellulose.

VISCOSE.gif

Le xanthate de cellulose se dissout dans la soude en donnant un liquide sirupeux, la viscose, qui se coagule au contact des acides en donnant une substance transparente et brillante qui peut donner des fils appelés rayonne.

Les tissus de rayonne ressemblent à ceux en soie.

C'est le chimiste Chardonnet qui mit au point en 1890 à Besançon, le procédé de fabrication de la rayonne en reprenant l'idée du chimiste Suisse Audemars.


Tableau 1

 

Bombykol

ou

Hexadécadièn-10(E)-12(Z)-1-ol

C16H30O

Masse molaire :

238,4088 g.mol-1

N° CAS

765-17-3

 

BOMBYKOL3.gif

 

Molécule de bombykol

 

 

 

BOMBYXMORI.jpg

 

Bombyx mori

Cette molécule est la première phéromone à avoir été isolée, dans les années 1960, du Bombyx du murier (Bombyx mori) un ver à soie qui lui a donné son nom.

Il a fallu 500 000 femelles de ver à soie pour extraire 6 ng de composé (6.10-9 gramme).

Rappelons qu’ une phéromone est une substance qui, après avoir été secrétée à dose infime par un animal, est perçue par un individu de la même espèce chez lequel elle provoque une réaction comportementale. Le bombyx du murier détecte la phéromone émise par sa femelle (le bombykol) dès qu'il y a plus de 192 molécules de bombykol par mL d'air ; Le mâle en quête de partenaire vole en zig-zag en remontant les courants d'air jusqu'à ce qu'il atteigne les femelles émettrices.