ETHER ET ALCOOL
(Wolfgang Werner Münster)



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Si on transpose la question de la poule et de l’oeuf à l’éther et à l’alcool, on donnera sans hésitation la priorité à l’alcool, mais cette réponse n’est exacte que du point de vue du chimiste. Le terme d’éther tire son origine d’un concept issu de la philosophie de la nature dans la Grèce antique, qui en passant par la physique finit par atterrir en chimie, domaine où il est d’ailleurs plus établi que le terme d’alcool qui entre-temps a été supplanté par l’appellation éthanol dans la désignation officielle.

L’éther chez les Grecs anciens
Par éther, les Grecs de l’antiquité désignaient le ciel bleu, l’air pur que respirent les Dieux et dans lequel les étoiles brillent, par comparaison avec la couche inférieure impure, dans laquelle nous vivons, qui elle, se disait aer.
Au 5ème siècle avant J.C. le philosophe grec Empédocle (490-435) en Sicile, a résumé différentes théories ayant trait à la naissance et à la constitution de la matière, en ramenant tout ce qui nous entoure à 4 éléments. Selon lui, le monde se compose de terre, d’eau, d’air, et de feu.
Platon (428-348) a adjoint à ces quatre éléments, des formes géométriques et Aristote (384-322) les a dotées de propriétés. En outre, Aristote a ajouté plus tard, l’éther comme cinquième élément (quinta essentia: quintessence).

Les quatre éléments et leurs propriétés
(selon Empédocle, Platon, Aristote)

Elément

Forme géométrique

propriétés

Feu

Tétraèdre

Chaud et sec

Air

Octaèdre

Chaud et humide

Eau

Icosaèdre

(20 faces)

Froid et humide

Terre

Cube

Froid et sec

Cette théorie a eu cours, en subissant de petites modifications jusqu’à la Renaissance. Elle s’est d’ailleurs combinée avec la théorie des quatre humeurs, dans le domaine médical (pathologie des humeurs). L’adjectif éthéré dans le sens de céleste, de léger, de vaporeux, fait son apparition dans la langue allemande, au 18ème siècle. Le terme d’huiles éthérées (huiles essentielles, certainement par référence à la quintessence) correspond bien à cette acception.

L’éther en physique
 Christian Huyghens (1626-1695) a défini la lumière, en 1690, comme une onde et il a postulé que l’éther lui servait de milieu de propagation (éther lumière) par analogie à l’air qui sert de milieu de propagation aux ondes sonores. L’hypothèse d’un éther lumière a été réfutée à la suite des expériences d’interférences de Michelson et de Morley (1887). Elle n’aurait pas été compatible avec la théorie de la relativité d’Einstein.
Dans un dictionnaire de 1898, on prétend encore que la masse volumique de l’éther lumière est environ quinze trillions de fois inférieure à celle de l’air. On croyait encore à l’époque que l’éther était nécessaire à la propagation des ondes radios moyennes et longues (1899). Et pourtant, les physiciens (Maxwell, Hertz) savaient déjà que les ondes électromagnétiques telles que la lumière où les ondes radios pouvaient aussi se propager dans le vide.

L’éther en chimie
L’éther correspond à de l’éthanol déshydraté ; on l’obtient par condensation de deux molécules d’éthanol avec élimination d’une molécule d’eau.
La réaction est catalysée par de l’acide (H+). Autrefois on n’utilisait que l’acide sulfurique (huile de vitriol) qui permettait de fixer l’eau formée et déplaçait donc l’équilibre dans le sens de formation de l’éther.
 

Valerius Cordus (1515-1544) médecin à Nuremberg a été le premier en 1540 à produire de l’éther selon ce procédé et l’a baptisé huile de vitriol adoucie. Cette substance incolore et presque immatérielle dont le point d’ébullition est à 35°C n’a été appelée éther qu’à partir de 1757, plus précisément éther sulfurique (Aether sulphuricus) en référence au terme cosmologico-physique et parce que l’on croyait qu’elle contenait du soufre. Ce n’est qu’en 1800 que le pharmacien berlinois Valentin Rose le jeune (1762-1807) a prouvé que l’éther ne contenait pas de soufre.
Par éther on entend alors le produit obtenu à partir d’un alcool et de l’acide sulfurique. Par éther mixte on entend le produit obtenu à partir de deux alcools différents et de l’acide sulfurique (par exemple l’éthylméthyléther).
Si l’on mélangeait de l’éthanol avec de l’acide acétique au lieu d’acide sulfurique, on obtenait de l’Aether aceticus, éther acétique.
C’est à ce moment que s’instaure petit à petit la distinction entre éther et ester.
Au 19ème siècle, encore, on considère l’éther acétique (ester éthylique de l’acide acétique) comme un éther mixte ; avec l'acide butyrique (butanoïque) on obtient l'éther butyrique (Aether butyricus).. Puis vient le terme d’ester, réservé d’abord à l’ester éthylique (l’alcool étant l’alcool éthylique).
Le mot ester vient du mot allemand Essigaether qui contracté devient Ester.
 


L’acide carboxylique et les alcools réagissent en formant un ester avec élimination d’eau.Dans l’exemple classique de " l’éther acétique " (ester éthylique de l’acide acétique) : R = -CH3 et R’ = -C2H5. La vitesse de réaction dépend de la concentration en H+.

Le composé obtenu à partir de l’acide chlorhydrique et d’un alcool (aether hydrochloricus) est un dérivé halogéné et donc ni un éther ni un ester.
La vertu anesthésique de l’éther a été observée en 1842 et ce produit fut utilisé comme narcotique en 1846 par Jackson et Morton.
Christian Friedrich Schönbein (1799-1868) Professeur à Bâle signale en 1860 dans une de ses notes, un éther contenant " HO2" et c’est là la première allusion à des peroxydes dans l’éther (il se forme d'abord des hydroperoxydes).

De l’esprit de vin à l’alcool
Sans alcool pas d’éther, en tous cas pas autrefois…Alors que l’humanité connaissait les boissons alcoolisées depuis la préhistoire ce n’est qu’au moyen-âge que l’on a réussi à obtenir l’alcool dans sa forme " concentrée ".
C’est au 12èmesiècle que s’est développée autour de l’école de médecine de Salerne en Italie du sud, la technique de distillation (du latin distillare : extraire des gouttes). De même que l’on a appelé les substances volatiles, esprits (spiritus) on a appelé l’alcool distillé à partir du vin " esprit de vin " (spiritus vini) que l’on a l’habitude d’appeler Sprit dans la langue courante.
Le Franzbranntwein (en allemand, Franzose veut dire français)auquel on a ajouté quelques ingrédients et qui n’est qu’à usage externe continue de s’appeler " spiritus vini Gallici " (vin français distillé ).
A partir du 14èmesiècle on a utilisé le terme de Weinbrand (en anglais brandy) par allusion au feu requis pour la distillation (En anglais brand signifie tison ou brûlure).
En raison de ses propriétés comme combustible, on l’appela également aqua ardens ou eau brûlante, ce qui s’est maintenu en portugais sous la forme aguardente.
C’est en revanche plutôt à la brûlure provoquée dans la gorge que l’expression " eau de feu " devenue tristement célèbre lors de la conquête du continent nord-américain fait référence.
Par allusion à son utilisation, autrefois essentiellement médicale, l’esprit de vin a aussi été appelé aqua vitae (l’eau de la vie) qui s’est maintenu en français dans l’expression eau-de-vie et dans l’expression danoise aquavit. C’est également la signification de l’expression gaëlique (celtique) uzisghe beata. C’est de là que provient par une déformation par des soldats anglais, l’expression irlandaise ou plutôt écossaise whiskey ou whisky. En comparaison l’expression vodka (polonaise ou russe : petite eau) paraît très sobre ; vodka dont l’alcool provient le plus souvent de la fermentation d’amidon de pomme de terre après transformation en sucre ; le nom renvoie à l‘aspect du distillat.
En 1526-1527 le médecin Paracelse (1493-1541) a forgé le terme de " alkohol spiritus vini "dans lequel le mot alkohol provient de l’héritage alchimique et désigne un élément essentiel. Le mot est dérivé de l’arabe al kohl et signifie en réalité poudre très fine comme celle qu’ on obtenait en broyant le sulfure d’antimoine (Sb2S3) et traditionnellement utilisé en Egypte comme fard, pour souligner les sourcils et les paupières ; littéralement ce terme veut dire " le plus raffiné ".

Eaux-de-vie
Tandis que l’esprit de vin est issu du vin, les eaux de vie sont fabriquées à partir de molécules issues de végétaux les plus divers contenant du sucre ou de l’amidon. Tout comme les grains de raisin, la canne à sucre contient beaucoup de glucose en majeure partie sous forme de saccharose disaccharide (sucrose). C’est pourquoi on a très tôt fermenté et distillé la mélasse de canne à sucre.
Au 17èmesiècle le goût démesuré pour ce distillat a entraîné, sur l’île des Antilles britanniques de la Barbade, des émeutes qui dans le langage populaire ont été appelées rumbullion. C’est de là que vient le terme rhum pour désigner cette boisson.
Les plantes ne contiennent, pour la plupart, que peu de glucose, car elles transforment un excédent de cette substance d’assimilation en amidon insoluble ; cet amidon est stocké dans la graine et transformé en sucre lors de la germination par l’enzyme amylase et il est ainsi disponible pour la plante mais aussi pour la fermentation alcoolique.
On appelle l’orge germé, du malt, qui est la matière bien connue servant à la fabrication de la bière.
Le Kornbranntwein que l’on appelle souvent Korn est fabriqué à partir de céréales (en allemand Korn), le plus souvent du froment.
Le whisky écossais provient de l’orge et le whisky canadien, du maïs.
On utilise pour la fermentation alcoolique, en complément du malt, de l’amidon de pomme de terre.
On utilise fréquemment pour obtenir des eaux-de-vie des fruits à pépins ou à noyaux comme par exemple la prune, la cerise, la pomme et la poire.
 

Noms géographiques: Cognac est une ville en Charente près de Bordeaux, en France, et c’est là que sont fabriqués des  " alcools " réputés ; et c’est ainsi que le nom de la ville est devenu le nom de " l’alcool " produit.
Le Calvados est une région du nord-ouest de la France où faute de vin on s’est consacré à la fabrication du cidre provenant de pommes.

Distillation et rectification :
En chauffant une solution contenant de l’éthanol comme par exemple le vin, on obtient par condensation des vapeurs qui s’échappent, une solution contenant environ 80% d’éthanol. Grâce à une nouvelle distillation que l’on nomme rectification (du latin regere : redresser), on récupère tout d’abord les fractions légères (essentiellement l’éthanal (acétaldéhyde), dont le point d‘ébullition est 21°C qui est un produit intermédiaire dans la fermentation alcoolique, et le méthanol dont le point d’ébullition est 65°C et qui provient de la réduction enzymatique de la pectine lors de la fermentation alcoolique). En second passe l’azéotrope (du grec, signifiant qui ne se modifie pas par ébullition), mélange bouillant à 78,15°C et de composition 95,57% d’éthanol et 4,43% d’eau, l'éthanol absolu bouillant à 78,4°C. C’est cette fraction appelée Primasprit en allemand "premier sprit" qui peut être consommée.
A plus de 100°C on obtient la troisième fraction qui est du fuselöl (principalement de l’alcool amylique qui flotte sur l’eau). C’est C.W.Scheele qui a forgé le terme alcool amylique en 1785 après l’avoir obtenu en faisant fermenter de l’amidon (amylum). L’alcool amylique de fermentation se compose à 85% de 3-méthylbutan-1-ol et à 15% de 2-méthylbutan-1-ol. Les deux alcools amyliques proviennent des acides aminés leucine et isoleucine des protéines et donc pas de l’amidon.

Dans le langage courant, on appelle en allemand fusel une boisson alcoolisée de mauvaise qualité. Une des raisons de cet état de fait est probablement une rectification peu soignée, c'est-à-dire qu’afin d’augmenter la quantité, on prend une partie de la troisième fraction et on l’ajoute au cœur de la rectification.
L’origine du mot fusel n’est pas évidente ; ce mot vient probablement du Rotwelsch, jargon des brigands.
L’alcool amylique de fermentation est qualifié de nocif .
Aucun règlement ne prévoit une qualification pour l’alcool ethylique des boissons destinées à être consommées ; ce sont d’ailleurs des traces d’alcool amylique combinées à des traces d’esters acétiques qui contribuent  à donner aux boissons alcoolisées leur arôme typique.

Question de nomenclature:
Pour l’alcool issu de la fermentation de solutions contenant du sucre, il y a eu au cours des siècles, diverses appellations : le terme d’alcool (voir plus haut) forgé par Paracelse ne s’est imposé que lentement au cours du 19ème siècle dans le langage courant ; dans la langue spécialisée l’alcool est devenu vers 1850 une appellation de groupe désignant les hydrocarbures aliphatiques contenant un ou plusieurs groupements OH.
Les alcools pris séparément sont distingués les uns des autres par des préfixes. L’alcool éthylique a été abrégé en éthanol dont le nom est indirectement dérivé d’éther. L’appellation " éthyle "désigne le groupe -C2H5.
D’autre part "éther" est aussi devenu une appellation de groupe pour les  alkoxyalcanes ; ce que l’on appelle éther dans le langage courant s’appelle plus exactement diéthyléther. Dans ce mot le radical et son préfixe qui dans l’histoire de la langue ont la même origine, sont combinés.
 

Quand Äther est devenu Ether en allemand:
C’est en 1975 qu’on a recommandé aux chimistes de changer l’orthographe d’Äther en Ether pour s’aligner sur les termes anglais et français. On a étendu aussi partiellement cette orthographe aux huiles éthérées, mais pas dans l'édition allemande de la Pharmacopée européenne.

Met et Améthyste:
On peut s’interroger sur l’étymologie du terme méthanol, puisque celui-ci forme le premier élément de la série des alcools. Cette étymologie est en lien avec les boissons alcoolisées, bien que le méthanol soit un alcool très toxique. Les germains appelaient une solution fermentée à base de miel : met. A cette appellation correspond le terme grec méthy qui signifie le vin. D’ailleurs la pierre semi-précieuse améthyste composée de quartz, SiO2, tire son nom de ce que sa couleur violet clair (du fait qu’elle contient Fe4+ ) rappelle le vin coupé avec de l’eau, boisson qui en principe, ne rendait pas ivre (améthyste avec le préfixe " a ", privatif, qui signifie " ne pas "). On a souvent dit de façon erronée que l’améthyste portée comme amulette protégeait de l’ivresse.
De 1661 (Robert Boyle) jusqu’à 1920, le méthanol était obtenu presque exclusivement par distillation sèche du bois, à l’abri de l’air. C’est pourquoi on trouve dans d’anciens livres l’appellation esprit de bois. Le distillat contient 1 à 3% de méthanol, environ 10% d’acide acétique et 3 à 5% d’acétone.



TRADUCTION : Anne-Sophie GOMEZ



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