ETUDE CHIMIQUE DE QUELQUES STRATEGIES THERAPEUTIQUES

DANS LE TRAITEMENT DES CANCERS


D'après le sujet de l'Agrégation de Chimie 2019.


RETOUR AU SOMMAIRE


Plan de l'étude :

1) Généralités

2) Autour des cellules - Quelques cibles thérapeutiques

3) Mode d’action de quelques molécules sur ces cibles

                3-1) Les agents alkylants

                3-2) Les antimitotiques

                               3-2-1) Les antipolymérisants

                               3-2-2) Les stabilisants du fuseau mitotique

Annexe 1 Biosynthèse des protéines

Annexe 2 Le cisplatine

Annexe 3 Microtubule et tubuline

Annexe 4 Délétions et modifications épigénétiques


1) Généralités :

Les cancers sont des pathologies dont les principales origines sont des altérations de l’ADN, support de l’information génétique. Ces altérations sont dues à des facteurs internes (mutations, additions ou délétions (voir annexe 4) au niveau de la séquence d’ADN, modifications épigénétiques (voir annexe 4)) ou à des facteurs externes (virus, bactéries, agents chimiques ou radioactifs, radiations électromagnétiques). La plupart des modifications de l'ADN des cellules passent inaperçues car les systèmes de réparation de l’ADN peuvent en corriger les défauts. Mais, dans de rares cas, une mutation peut subsister et modifier l’expression de facteurs qui contrôlent la prolifération cellulaire. La chimiothérapie a pour but d’enrayer ou de ralentir l’évolution de la prolifération des cellules tumorales en agissant sur l’ADN, l’ARN, ou les protéines de ces cellules.

L'article porte sur l’étude de quelques stratégies thérapeutiques dans le traitement des cancers par chimiothérapie.

Une première partie aborde l’étude de la structure de quelques cibles biologiques présentes dans les cellules - ADN et ARN, protéines- visées par les chimiothérapies.

Une seconde partie étudie plus précisément le mode d’action de quelques molécules sur ces cibles.

 

2) Autour des cellules - Quelques cibles thérapeutiques (ADN, ARN, Protéines)

Au sein des cellules se trouve l’ensemble des gènes contenus dans une macromolécule en forme de double hélice, l’ADN. L’ADN contient toutes les informations permettant à un organisme de vivre et de se développer. En 1928, Phoebus Levene un biochimiste américain d'origine lituanienne puis Erwin Chargaff un biochimiste autrichien naturalisé américain, déterminent la structure chimique d’un brin de l’ADN avec sa composition en bases azotées puriques (adénine  et guanine) et pyrimidiques (cytosine et thymine).

 

PURINE.gif

 

PYRIMIDINE

 

 L’ADN est une macromolécule constituée d’un grand nombre de nucléotides. Chaque nucléotide est composé d’un nucléoside lié à un groupe phosphate et chaque nucléoside est constitué d’un aldopentose, le D 2-déoxyribose

 

DEOXYRIBOSE

 

 

                       

lié par son carbone anomère (1') à l’atome d’azote d’une des quatre bases azotées, atome numéroté 1 sur les bases pyrimidiques et 9 sur les bases puriques (voir les formules qui viennent d'être données). Les nucléotides sont reliés entre eux par des liaisons phosphodiester entre le groupe phosphate positionné en 5’ sur l’un des nucléotides et le groupe hydroxy en position 3’ d’un autre nucléotide.

Exemple de nucléoside avec l'adénine

NUCLEOSIDE.gif

 

Exemple de nucléotide avec l'adénine

 

NUCLEOTIDE.gif

 

Enchaînement de nucléotides

 

ENCHAINEMENT.gif

 

Schématiquement :

 

NUCLEOTIDE2.gif

 

L’ARN est constitué de chaînes beaucoup plus courtes que l’ADN, et diffère de celui-ci par la nature du fragment glucidique (le ribose au lieu du 2-déoxyribose) et par le fait que la thymine est remplacée par l’uracile :

URACILE

 En 1952, James Watson et Francis Crick établissent la structure en double hélice de l’ADN qui leur vaut le prix Nobel de physiologie et de médecine en 1962.

L’ADN est constitué de deux brins qui s’enroulent l’un autour de l’autre de manière très précise en une double hélice. Ils sont maintenus solidaires grâce à la formation de paires de bases : l’adénine se lie de manière réversible avec la thymine – et seulement avec elle – et la cytosine se lie avec la guanine– et seulement avec elle.

 

ADN11.gif

 

La molécule d’ADN, à travers plusieurs étapes, conduit à la synthèse de protéines. Ces étapes sont les suivantes : une séquence d’ADN (un gène) est transcrite en un ARN messager, lequel est traduit en une protéine. Les protéines ainsi produites par l’organisme jouent des rôles physiologiques divers : rôle structural (membranes des cellules, etc.), rôle d’usine chimique (les enzymes) avec la biosynthèse de molécules indispensables à la vie (glucides, lipides, acides nucléiques), rôle de messagers (hormones), etc.

Les protéines sont des macromolécules constituées d’un assemblage d’acides a-aminés naturels de configuration L reliés entre eux par des liaisons peptidiques. La structure primaire d’une protéine est le fruit de la traduction de l’ARN messager par le ribosome et correspond à l’enchaînement des acides aminés. Ces protéines présentent aussi des structures secondaires et tertiaires (voir annexe 1).

 

3) Mode d’action de quelques molécules sur ces cibles :

Par définition, le cycle cellulaire est l'ensemble des étapes qui constituent et délimitent la vie d’une cellule eucaryote, depuis sa formation jusqu’à sa division en deux cellules filles. Les espèces chimiques utilisées en chimiothérapie dépendent de la cible thérapeutique visée et de la phase du cycle cellulaire ciblée.

Dans cette partie, nous étudierons deux types de molécules utilisées en chimiothérapie, les agents alkylants et les poisons du fuseau mitotique.

            3-1) Les agents alkylants

Les agents alkylants forment des liaisons covalentes avec les bases de l’ADN, principalement au niveau des atomes d’azote des bases puriques et plus particulièrement au niveau des guanines et adénines de l’ADN. Le chlorméthine par exemple agit par formation d'un ion carbonium extrêmement réactif qui se fixe surtout sur les résidus guanine de l'ADN, en position N-7 (site nucléophile) en donnant des liaisons très stables.

FLECHEGUANINE.gif

 

Ces liaisons empêchent la réplication cellulaire en induisant des défauts dans la structure de la double hélice. Si la cellule ne dispose pas de mécanismes de réparation de l’ADN, ces altérations entraînent la mort de la cellule (apoptose).

 

Quelques exemples d'agents alkylants :

                        - Les moutardes à l'azote :

Certains de ces agents alkylants sont désignés par le terme générique «moutarde à l’azote» car ce sont des molécules qui dérivent du "gaz moutarde" (ou ypérite), le sulfure de 2,2'-dichlorodiéthyle

YPERITE

par remplacement de l'atome de soufre par un groupement azoté, H3C-N par exemple pour le chlorméthine.

 

Chlorméthine

Cyclophosphamide

Melphalan

CHLORMETINE

CYCLOPHOSPHAMIDE

MEPHALAN

C'est le premier agent alkylant à avoir été utilisé*.

Il s'agit d'une prodrogue ; elle doit être métabolisée pour pouvoir exercer son action antitumorale.

Ou 4-[bis(chloroéthyl)amino]phénylalanine

Cette molécule se fixe sur les atomes d'azote des bases puriques guanines.

                              

                        - Un autre exemple d’agent alkylant est le cis-platine. C'est un complexe de coordination, le Cis-PtCl2(NH3)2 de l'ion Pt(II) ; son nom : Cis-DiammineDichloroPlatine (II)  ou CDDP qui s'écrit le plus souvent.en un seul mot : cisplatine.

CISPLATINE2.gif

Les deux atomes de chlore sont voisins, contrairement au composé trans où ils sont opposés :

TRANSPLATINE.gif

C'est un agent alkylant de l'ADN qui se fixe sélectivement sur les bases puriques A (Adénine) et G (Guanine), mais principalement en position N-7 de la guanine :

De nombreuses études ont porté sur le mécanisme d’action du cisplatine comme agent alkylant. Il a tout d’abord été montré que le complexe reste dans son état neutre tant qu’il circule dans les voies sanguines ; la concentration en ions chlorure y étant relativement élevée (100 mmol.L-1), elle empêche l’hydrolyse du complexe. Le cisplatine pénètre ensuite dans la cellule par diffusion passive à travers la membrane. La diminution de la concentration en ions chlorure (dans la cellule elle est de l’ordre de 1 mmol.L-1) favorise alors l’hydrolyse du cisplatine pour former des complexes électrophiles très réactifs qui peuvent réagir avec divers nucléophiles cellulaires, comme l’ADN. L’établissement de ces liaisons avec l’ADN double brin donne lieu à différents adduits :

CISPTADDUIT1.gif    CISPTADDUIT2.gif    

La chélation sur un seul brin étant majoritaire.

La fixation non chélatante par coordination à une seule guanine peut aussi avoir lieu :

CISPTADDUIT3.gif

                       

Une telle action n'est pas observée avec le composé trans.

Un complément d'information sur le cisplatine est donné à l'annexe 2.

 

                        - Les nitroso-urées :

Les nitroso-urées constituent une autre famille d'agents alkylants

 

Lomustine

Carmustine

LOMUSTINE

CARMUSTINE

Sa grande solubilité dans les graisses favorise son passage à travers la barrière hémato-encéphalique.

En plus d'agir par alkylation de l'ADN et de l'ARN, elle agit par carbamylation des protéines.

 

            3-2) Les antimitotiques :

Les antimitotiques sont des poisons du fuseau mitotique qui agissent pendant la mitose. Au cours de cette phase, un fuseau formé par des microtubules (voir annexe 3) est constitué. Les chromosomes dédoublés migrent le long de ce fuseau vers chaque extrémité des microtubules. Les antimitotiques altèrent ces microtubules, forme polymérisée de la tubuline, ce qui bloque la prolifération cellulaire.

Ils sont classés en deux catégories distinctes :

            - les antipolymérisants qui empêchent la polymérisation de la tubuline en microtubules et

            - les stabilisants qui inhibent la dépolymérisation de ces microtubules.

                        3-2-1) Les antipolymérisants :

Les vinca-alcaloïdes sont des poisons du fuseau mitotique qui se lient à la tubuline, la protéine microtubulaire et empêchent la polymérisation de celle-ci.

Les principaux étant la vincristine et la vinblastine :

 

La Vincristine

La Vinblastine

VINCRISTINE.gif

VINBLASTINE.gif

On peut l’extraire de la pervenche de Madagascar (Catharanthus roseus)

C'est le principe actif d'un médicament commercialisé sous le nom Oncovin ® et utilisé en chimiothérapie.

Cette molécule se montre active notamment dans les leucémies aiguës de l’enfant.

Cette molécule découverte en 1958 par deux américains, R.Noble et C. Beer peut être extraite de la pervenche de Madagascar (Catharanthus roseus). Elle est active dans le traitement de la maladie de Hodgkin.

L'un des dérivés de cette molécule, le 5'-nor anhydrovinblastine ou 3',4'-didéhydro-4'-dioxy-c' novincaleucoblastine est un anticancéreux (cancer du poumon « non à petites cellules » et cancer du sein) commercialisé sous le nom Navelbine ® ; il a été mis au point en 1978 par le Professeur Pierre Potier et son équipe de Gif-sur-Yvette.

 

D'autres composés agissent comme les vinca-alcaloïdes, c'est le cas de l'éribuline par exemple, une cétone macrocyclique synthétique analogue du macrolide halichondrine B isolé en 1986 à partir de l'éponge Halichondria okadaï que l'on trouve sur les côtes japonaises. L'éribuline est utilisée depuis 2010 aux USA contre le cancer du sein.

 

Halichondrine B

Eribuline

HALICHONDRINEB

ERIBULINE.gif

 

                        3-2-2) Les stabilisants du fuseau mitotique :

Le Taxol® et la laulimalide, sont des molécules qui stabilisent le fuseau mitotique en interférant sur la dépolymérisation des microtubules à l’échelle du nanomolaire.

 

Paclitaxel ou Taxol®

Laulimalide

TAXOL.gif

 

LAULIMALIDE.gif

 

L’écosystème des océans représente une source importante de molécules à fort intérêt biologique.

En 2000, un spécimen d’éponges Mycales a fait l’objet d’une étude par Northcote. Un échantillon congelé (170 g) de cette éponge a permis l’extraction de trois composés aux caractéristiques structurales et aux propriétés biologiques très différentes : 11,7 mg de pateamine, 10,6 mg de mycalamide A et 3 mg de péloruside A :

 

Pateamine

Mycalamide A

Péloruside A

PATEAMINE

MYCALAMIDEA.gif

PELORUSIDE

 

Northcote porte son attention sur le péloruside A dont des tests ont révélé une activité cytotoxique puissante, sans pour autant établir son mécanisme d’action. Il s’est particulièrement intéressé à l’élucidation de sa structure.

En 2002, Miller a effectué une étude comparative entre le péloruside A, sa forme réduite, et le Taxol®, antimitotique de référence. A l’équilibre, le péloruside A existe sous deux formes ouverte et fermée du cycle pyrane. La réduction de ce cycle donne un alcool en C9 et conduit au péloruside A réduit.

3PELORUSIDE.gif

 

Comme le Taxol®, le péloruside A provoque la polymérisation de la tubuline soluble en microtubules. A partir d’une concentration de 100 nM et au bout de seulement quelques minutes, aucune forme soluble de tubuline n’est détectable en présence de ces deux composés. En revanche, quelle que soit sa concentration, le péloruside A réduit n’a aucun effet sur la tubuline.


Annexe 1

Voir Biosynthèse des protéines dans l'abécédaire


Annexe 2

Le Cis-platine

Un extrait d’article provenant du Journal of Chemical Education sur la synthèse et l’étude de ce complexe est fourni ci-dessous :

 

The discovery and development of Cisplatine 2 Journal of Chemical Education, vol 83, n°5, may 2006, pp. 728-734

 

CISPLATINE

La découverte du potentiel antitumoral de ce complexe est totalement fortuite ; Barnett Rosenberg et coll. (Michigan State University) étudiaient les effets possibles d'un champ électrique sur la croissance d'Escherichia coli. Ils ont observé que les bactéries se développaient sous forme de longs filaments, mais curieusement cessaient de se diviser. Ce n'est qu'après un an de recherches sur les causes de cette inhibition de la mitose, qu'ils ont montré que ce phénomène était provoqué par un composé issu de l'électrode en platine ; il a fallu encore plusieurs années pour que ces chercheurs démontrent que le cis-diamminedichloroplatine (II) était extrêmement efficace contre certains cancers.

La synthèse de ce complexe, est effectuée au départ à partir de K2[PtI4] réagissant sur l'ammoniac. On obtient d'abord le composé monosubstitué. La seconde substitution conduit à une disubstitution en cis préférentiellement. On convertit ensuite le composé iodé en composé chloré et on garde la configuration cis. L'utilisation du composé iodé au départ est justifié par le fait que l'on obtient ainsi le composé cis pratiquement pur.

Renseignements trouvés sur le site  de la Société chimique de France (societechimiquedefrance.fr)


Annexe 3

Microtubule et tubuline

Les cellules eucaryotes ont un cytosquelette c'est-à-dire un ensemble de polymères biologiques qui conditionnent ses propriétés architecturales et mécaniques.

Ce cytosquelette est constitué de différentes protéines comme des filaments d'actine ou les filaments intermédiaires par exemple mais aussi des microtubules, petits tubes construits à partir de polymères de tubuline.

Les microtubules sont en continuelle modification, se dépolymérisant et se polymérisant aux extrémités, à chaque instant.

Les microtubules sont notamment impliqués dans la mitose ; ils jouent un rôle essentiel dans la séparation des chromosomes en formant une structure très élaborée, le fuseau mitotique.

Annexe 4

Délétions et modifications épigénétiques

Délétion : perte d'un fragment d'ADN par un chromosome

Modifications épigénétiques : Changement de l'activité d'un ou plusieurs gènes sous des influences extérieures.