DES MOLECULES ORGANIQUES SOUFREES

Document réalisé à partir du texte de l’exercice de chimie du concours général STL 2005


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Découvert en 1951, le gisement de LACQ contient un gaz naturel riche en hydrocarbures gazeux dont le principal est le méthane, une quantité non négligeable de sulfure de dihydrogène H2S et du dioxyde de carbone. Sa mise en exploitation intervient en 1956 et les premières usines de fabrication des composés soufrés démarrent en 1958. Parallèlement, un effort important de recherche, de développement et de mise au point de synthèses et de procédés est engagé. Pendant plus de 25 ans, ELF Aquitaine reste leader mondial de la thiochimie (thio provient du grec theion, soufre natif).

De l’acide sulfurique, très utilisé dans l’industrie des engrais, jusqu’aux molécules organiques les plus complexes de l’industrie pharmaceutique comme les céphalosporines, antibiotiques apparentés aux pénicillines ou encore la coenzyme A intervenant dans de nombreuses synthèses biochimiques, en passant par des des aminoacides comme la méthionine, la cystine, la cystéine, le glutathion, les composés soufrés sont essentiels pour la vie et sont omniprésents dans notre environnement quotidien : organismes vivants, aliments, cosmétiques, médicaments arômes, polymères, résines, lubrifiants, détergents,  produits phytosanitaires….

1)  Du sulfure de dihydrogène aux mercaptans :

Les mercaptans, appelés aussi thiols, sont les analogues soufrés des alcools. La plupart ont des odeurs très nauséabondes (chou, légumes en décomposition…Par exemple, pour se défendre le sconse projette des composés volatils comme le 3-méthylbutan-1-thiol et le E-but-2-èn-1-thiol ; voir annexe 1), néanmoins ils jouent un rôle important dans les organismes et sans exagération, on peut dire qu’aucun organisme vivant ne pourrait vivre sans thiols. Deux exemples de thiols :

¾     Le méthylmercaptan ou méthanethiol (CH3SH) est  principalement utilisé comme intermédiaire de synthèse de la méthionine (acide aminé utilisé dans l'alimentation animale). Il est obtenu industriellement par réaction entre le sulfure de dihydrogène et le méthanol :

SOUFRE1.gif

¾     L’éthylmercaptan (C2H5SH) ou éthanethiol est un intermédiaire de synthèse d'insecticides et d'herbicides et peut être utilisé comme odorisant de gaz naturel.

D’une façon générale, la liaison S-H est moins polarisée que la liaison O-H ; en effet, l’atome de soufre est plus gros que l’atome d’oxygène et l’électronégativité du soufre (2,58 dans l’échelle de Pauling) est plus faible que celle de l’oxygène (3,44 dans cette même échelle) ; cela a pour conséquence que les  molécules de thiols donnent des liaisons hydrogène beaucoup moins fortes que les molécules correspondantes d’alcool ; c’est ce qu’on constate dans le tableau ci-dessous donnant les points d’ébullition de deux thiols et des alcools correspondants :

Composés

méthanethiol

éthanethiol

méthanol

éthanol

Températures d’ ébullition (en °C)

6,2

37

65

78,5

On remarque que la différence des températures d’ébullition entre thiols et alcools s’estompe quand la longueur de la chaîne carbonée augmente.

 

Nous avons vu comment on obtenait industriellement le méthanethiol ; une autre voie de synthèse des thiols aliphatiques est l’action de l’hydrogénosulfure de sodium en excès sur des dérivés halogénés (bromés par exemple).

Ainsi pour obtenir le butane-1-thiol, on peut faire réagir l’hydrogénosulfure de sodium sur le 1-bromobutane :

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2) Du méthylmercaptan à la méthionine :

La méthionine est un acide α-aminé essentiel, non synthétisé par l'homme et les animaux ; il faut donc qu’il puisse être puisé dans la nourriture. Cet acide α-aminé étant présent en faible quantité dans les céréales, il faut apporter un complément alimentaire à de nombreux animaux. Le principal débouché de la méthionine (environ 90 % de la production) est l’alimentation animale notamment celle de la volaille (2 à 3 g/kg d'aliment, soit au total 4 à 5 g par poulet). La consommation mondiale de méthionine synthétique est d'environ 300 000 t/an (année 2000).

La formule topologique de la méthionine est :

SOUFRE3.gif

Selon le procédé Rhône Poulenc, la synthèse de la méthionine (acide 2-amino-4-(méthylthio) butanoïque) s'effectue en 3 étapes :

 

-        Etape 1 : Synthèse du 3-méthylthiopropanal (aussi nommé aldéhyde méthylthiopropionique ou AMTP) par réaction entre le méthylmercaptan (ou méthanethiol) et l’acroléïne (ou prop-2-ènal).

L’équation de cette réaction est :

 

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Cette réaction d’addition est régiosélective, le groupement méthylthio se mettant à l’extrémité de la chaîne ; cela est conforme à la polarisation du méthanethiol (CH3S--H+) et à la polarisation du prop-2-ènal SOUFRE5.gif

 

-        Etape 2 : Synthèse de l’hydantoïne par action, sur l’AMTP, du cyanure de sodium en présence d'ammoniac et de dioxyde de carbone ; au cours de cette réaction, il y a passage par une cyanhydrine, intermédiaire résultant de l’addition de cyanure d’hydrogène HCN sur la fonction aldéhyde :

 

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Le mécanisme de cette réaction est rappelé à l’annexe 2

La cyanhydrine se transforme ensuite en (méthylthio)éthylhydantoïne :

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-        Etape 3 : Hydrolyse de la (méthylthio)éthylhydantoïne en solution par de l’hydroxyde de sodium pour obtenir un mélange racémique de D et L méthioninate de sodium, puis formation du mélange racémique de méthionine par neutralisation du méthioninate de sodium à l'aide d'acide sulfurique :

SOUFRE9.gif

 

3) De la méthionine aux protéines

 

Le soufre, constituant important de la matière vivante, est notamment présent dans de nombreux polypeptides biologiques comme le glutathion et dans des protéines comme l’insuline, par exemple.

Un peptide est un ensemble constitué de plusieurs acides α-aminés enchaînés par réaction de la fonction acide de l’un avec la fonction amine d’un autre pour donner un amide dont la liaison est dite peptidique. Les oligopeptides correspondent à un enchaînement de quelques unités (dipeptides, tripeptides….); quand le nombre d’unités augmente on parle de polypeptide, et quand ce nombre est très grand, de protéine. Les acides aminés (pris individuellement) qui composent le peptide sont appelés « restes » ou « résidus ».

Une nomenclature simplifiée des peptides consiste à écrire la suite des radicaux correspondant aux acides aminés (met pour méthionine, cys pour cystéine, gly pour glycine, glu pour acide glutamique…voir annexe 3) en mettant à gauche l’acide aminé ayant mis en jeu sa fonction acide dans la formation de la liaison peptidique.

Par exemple à partir de la méthionine et de la cystéine on peut obtenir deux dipeptides :

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Le tripeptide met-cys-met a comme formule topologique :

 

SOUFRE15.gif

 

Le glutathion est le tripeptide g-glu-cys-gly (le sigle g-devant glu indique que c’est, dans le cas de l’acide glutamique, l’acide à l’extrémité de la chaîne qui est engagé dans la liaison peptidique) ; il est présent dans les cellules vivantes et joue le rôle d’agent de réduction des processus biochimiques en se laissant facilement oxyder, par voie enzymatique, au niveau du groupe mercapto (-SH) en un dimère avec pont disulfure (-S-S-).

Ainsi sa forme réduite s’écrit :

GLUTATHION.gif

Et sa forme oxydée :

GLUTATHION2.gif

Remarque :

Les acides aminés chiraux qui composent un polypeptide sont de configuration S.

La méthionine obtenue par le procédé Rhône poulenc est le racémique c'est-à-dire un mélange équimoléculaire des deux inverses optiques R et S.

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En représentation de Fischer cela devient :

 

SOUFRE16.gif

 

4) Des molécules soufrées au quotidien

 

4-1) Dans nos assiettes

 

Les dérivés thioorganiques ont, en général, une activité biologique marquée. L’odeur de l’ail et les propriétés lacrymogènes de l’oignon sont dues à plusieurs composés soufrés, également responsables des vertus thérapeutiques (fluidité du sang et diminution du taux du cholestérol sanguin) attribuées à ces deux légumes.

 

Les composés soufrés extraits de l’ail diffèrent selon les méthodes d’extraction. La méthode la plus radicale est l’entraînement à la vapeur d’eau : la vapeur entraîne différents composés que l’on sépare ensuite, parmi lesquels le disulfure de diallyle :

SOUFRE17.gif 

L’extraction par solvant est une méthode plus douce : avec de l’éthanol à température ambiante, on obtient un autre composé soufré, l’allicine, responsable de l’odeur de l’ail ; l’allicine ne diffère du précédent composé que par la présence d’un atome d’oxygène sur l’un des deux atomes de soufre, formant un groupe S=O :

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Les composés soufrés extraits de l’oignon diffèrent aussi selon les méthodes d’extraction. Par entraînement à la vapeur d’eau, on obtient du propanal et du dithia-4,5-octane ou disulfure de dipropyle :

SOUFRE20.gif

Par extraction au fréon à 0°C, on obtient une molécule d’oxyde de propanethial de formule CH3CH2CH=S+-O-, responsable des propriétés lacrymogènes. Ces propriétés sont dues au fait que l’hydrolyse de ce composé, libère de l’acide sulfurique, du sulfure de dihydrogène et du propanal selon l’équation :

HYDRPROPANETHIAL.gif

L’acide sulfurique et le propanal dont les propriétés irritantes sont connues sont solubles dans l’eau. On comprend alors pourquoi les oignons sont moins lacrymogènes quand on les épluche sous l’eau froide.

 

4-2) Dans la cuisine

 

Les détergents comportent une partie polaire hydrophile et un enchaînement peu polaire lipophile. Certains d’entre eux comportent des groupes sulfonates ; c’est le cas, par exemple, du p.octylbenzènesulfonate de sodium dont la synthèse qui peut se faire en huit étapes est donnée à l’annexe 4.

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D’une façon générale, les détergents font partie d’une famille, les tensioactifs, substances solubles dans l'eau et ayant la propriété de se concentrer, de s'agréger aux interfaces entre l'eau et d'autres substances peu solubles dans l'eau, les corps gras notamment.
Ces molécules présentent au moins deux parties d'affinité différente, l'une est hydrophile (affinité pour l'eau) et l'autre lipophile (affinité pour les graisses) ; de telles substances sont dites amphiphiles (du grec amphi, “des deux cotés” et philos, “ami”).
La partie hydrophile est une extrémité généralement ionique de la molécule ; elle peut être :
    - anionique : c'est le cas des ions carboxylates -COO- mais aussi des ions sulfonates -SO3-.
    - cationique : c'est le cas des amines protonées

AMINEPROTONEE, ou des ammoniums quaternaires AMMONIUMQUATERNAIRE.
    - zwittérionique : bétaïnes, phospholipides (lécithines par exemple) : en milieu basique, ces molécules se comportent comme des anions et en milieu acide comme des cations.
Parfois la partie hydrophile n'est pas ionique mais elle possède alors des groupes polaires susceptibles de donner avec l'eau des liaisons hydrogène (des fonctions alcool par exemple).
La partie lipophile est généralement constituée d'une chaîne carbonée assez longue et qui doit être linéaire (non ramifiée) pour être biodégradable.

Leur  mode d'action :
Aux interfaces eau-matière grasse, les tensioactifs se concentrent, leur partie lipophile s'immergeant dans le corps gras et leur partie hydrophile dans l'eau. Ces agrégats de molécules de tensioactifs ainsi formés s'appellent des micelles.
 SOUFRE30.gif           MICELLE2.gif                  MICELLEDESURFACE.gif

Leur utilisation en tant que détergent peut par exemple s'expliquer ainsi :
Par frottement (lavage manuel ou en machine d'un tissu) les globules de graisse entourés de tensioactif se fractionnent donnant des globules plus petits qui s'entourent aussitôt de tensioactif et ceci plusieurs fois, jusqu'à se détacher de l'étoffe et se répartir dans l'eau de lavage sous forme d'une émulsion qui est éliminée lors de la vidange. Ce processus est facilité par le fait que le tensioactif se positionne aussi à l'interface eau-air, sa partie hydrophile dans l'eau, et diminue ainsi la tension superficielle de l'eau (formation de la mousse des savons) favorisant le mouillage du tissu.

4-3) Dans la salle de bain

 

L’acide thioglycolique et ses dérivés sont à la base de nombreuses préparations cosmétologiques ; avec le glycérol, il conduit au dimercaptoacétate de glycérol, composé présent dans certaines permanentes à froid.

L’acide thioglycolique est synthétisé à partir de  sulfure de dihydrogène et d’acide monochloracétique suivant l’équation :

SOUFRE31.gif 

La synthèse du dimercaptoacétate de glycérol s’écrivant, elle :

SOUFRE32.gif

Remarque : le terme mercapto désigne le groupement –SH

 

4-4) Dans la trousse à pharmacie

 

De nombreux médicaments contiennent du soufre dans leur squelette moléculaire. Les sulfonamides ou sulfamides sont les plus connus (voir l’annexe 5) ; découverts en 1935, ils permirent le traitement d’infections bactériennes graves (méningites à méningocoques et nombreuses septicémies).

Les céphalosporines, antibiotiques très puissants, pouvant remplacer la penicilline (voir annexe 6), ont été synthétisées récemment ; elles ont pour « noyau » commun l'acide 7-aminocéphalosporanique, représenté ci-dessous. Un élément important est la possibilité de substitution en C3 (carbone auquel est fixé le groupe -CH2OCOCH3) par des groupements électrocapteurs (ou électroattracteurs). Ceux-ci permettront une meilleure délocalisation des électrons au niveau du cycle β-lactame, rendant en principe les céphalosporines plus actives vis-à-vis des transpeptidases en comparaison avec les pénicillines.

 

EXERCICE1581.gif

 

 Citons par exemple la céphalosporine C :

cephalos

L’activité des céphalosporines et des pénicillines s’explique par la présence d’un cycle β-lactame qui est tendu (quatre carbones) et ne demande qu’à s’ouvrir ; il se révèle beaucoup plus réactif qu’un simple amide.

Les céphalosporines contrairement aux pénicillines résistent aux pénicillinases, enzymes secrétés par des bactéries, qui permettent l’hydrolyse du β-lactame avant que la molécule n’ait eu le temps de « s’accrocher » au transpeptidase et qu’elle n’ait eu donc le temps de le neutraliser. Rappelons que le transpeptidase est nécessaire à la biosynthèse de la membrane cellulaire des bactéries.


Annexe 1

3-méthylbutan-1-thiol

3METHYLBUTAN1THIOL.gif

E-but-2-èn-1-thiol

EBUT2EN1THIOL.gif


Annexe 2

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Annexe 3

Méthionine

(met)

SOUFRE3.gif

Cystéine

(cys)

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Glycine

(gly)

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Acide glutamique

(glu)

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Annexe 4

 

Les huit étapes de la synthèse du p.octylbenzènesulfonate de sodium :

 

Etape 1 : une addition radicalaire sur un alcène (anti-Markovnikov)

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Etape 2 : une substitution nucléophile

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Etape 3 : Une oxydation d’un alcool primaire en acide carboxylique

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Etape 4 : Passage de l’acide au chlorure d’acyle

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Etape 5 : Acylation de Friedel et Crafts

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Etape 6 : Réduction de la cétone par la méthode de Clemmensen

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Etape 7 : Sulfonation du noyau benzénique (substitution électrophile)

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Du fait de l’encombrement stérique des groupements –SO3H et octyle, la substitution électrophile a lieu préférentiellement en para.

 

Etape 8 : Formation du sel de sodium de l’acide sulfonique

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Annexe 5

Le sulfanilamide ou 4-aminobenzènesulfonamide a été l’un des premiers sulfamides antibactérien.

 

C6H8N2SO2

 

SULFANILAMIDE

Citons aussi la sulfadiazine, un puissant agent bactériostatique :

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Annexe 6

Les pénicillines :

 

- Pénicilline G : Antibiotique en général administré en piqûre intraveineuse ou intramusculaire. Utilisé dans des cas sévères la voie orale n’est pas indiquée.

PENICILLINE.gif

 

 

- Pénicilline A : ou Ampicilline ; c’est une aminopénicilline à spectre large ; elle couvre tout le spectre des pénicillines conventionnelles (comme l’amoxicilline) plus beaucoup d’autres souches comme les entérocoques. Peut être administrée par voie orale ou intraveineuse.

 

AMPICILLINE.gif

 

- Pénicilline V : Cette molécule est l’équivalent de la pénicilline G mais par voie orale.

 

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